Commission d'Enquête Citoyenne
pour la vérité sur l'implication française dans le génocide des Tutsi au Rwanda
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Le résumé au format texte [.rtf] (site Survie)

Lundi 22 mars :

          Présomptions de complicité militaire (1)

Rapporteur : François-Xavier Verschave (Président de Survie)

 (Ce document a été constitué à partir du dossier présenté par le rapporteur, complété par des prises de notes effectuées par des observateurs au cours de la séance. Il ne s’agit pas d’un compte-rendu définitif. Des imprécisions et approximations dans la retranscription des débats et des auditions ne sont pas à écarter )

La commission d’enquête parlementaire de 1998 a conclu que  la France avait bien  instruit l’armée rwandaise mais  pas participé à la constitution, la formation et l’encadrement des milices. De nombreux témoignages portés à la connaissance de la CEC attestent pourtant du contraire. Les militaires invités à répondre aux questions de la commission n’ont pas donné signe de vie, ou ont refusé de se présenter.

 

1.1  Complicité avec les tueurs (commandos et miliciens)

 

Audition et témoignage d’Immaculée Cattier

 

En avril 1991, elle fuit les massacres ethnistes du Nord-Est du Rwanda dans le minibus de religieux canadiens. Le minibus arrive à Ruhengeri, au croisement de la route de Kigali et de la montée vers les volcans.

 

« Là il y avait une queue de véhicules qui attendait un contrôle. La tension était à vous couper le souffle. De loin j’ai aperçu les autos blindées prêtes à attaquer. Avec comme chauffeurs des militaires blancs. Mes amis canadiens ont chuchoté : « les Français »… Nous avons vu les militaires qui contrôlaient, les miliciens qui tenaient les barrières en agitant les machettes dans tous les sens. Mon vieux protecteur m’a regardé dans le rétroviseur d’un œil qui me rappelait que je devais garder le calme et le sang froid comme le jour où je suis arrivée chez eux sous une pluie de lance et de bambous bien aiguisés.

Les prières ne venaient plus en moi, je me croyais déjà morte. On avançait d’un ou deux mètres après le départ d’une voiture. Je me suis rendue compte que parmi les militaires il y avait aussi des Français qui demandaient aussi les cartes d’identités des Rwandais où figurait la mention « hutu, tutsi, twa ». Les tutsi se faisaient sortir de la voiture et les militaires français les remettaient aux mains des miliciens agacés qui les coupaient à coups de machettes et les jetaient dans une rigole (canalisations d’eau) au bord de la grande route asphaltée de Ruhengeri-Kigali. Après le couvre-feu un camion benne de la commune venait charger les cadavres et les mettre je ne sais où (probablement dans une des fosses communes que la FIDH a découvert en janvier-février 93 dans la commune Kigombe-Ruhengeri).

Malgré les consignes des frères de faire semblant de ne rien craindre, j’ai tout de même jeté un coup d’œil dans le rétroviseur de notre Hiace-minibus pour voir ce qui se passait dans d’autres voitures et j’ai vu un tutsi qui se faisait sortir d’une voiture un peu plus loin de la nôtre et après la vérification de sa carte d’identité, un militaire français et un autre officier rwandais l’ont donné aux miliciens qui ont commencé tout de suite devant ces voitures à le frapper, de leurs machettes et de toutes autres armes comme Ntampongano (gourdins) qu’ils avaient pour le jeter après dans la rigole (tout cela vite fait pour s’attaquer aux suivants).

Quand j’ai vu cela j’ai regardé autour de nous dans la rigole où j’ai aperçu quelques corps qui gisaient sans bruit (ils meurent tous sans bruit). J’ai fermé mes yeux jusqu’à ce que notre moteur a tourné longtemps sans s’arrêter et j’ai compris que nous avions eu l’autorisation de partir sans perte puisque j’étais la seule à être visée. Personne de notre voiture n’a commenté ce qui s’est passé, juste le frère directeur qui a demandé une petite prière dans nos cœurs pour ces gens qui se faisaient tuer. »

 

 

Les formations de commandos et/ou de miliciens à Bigogwe et Mukamira

 

Jean Carbonare, de la Commission internationale sur les violations des Droits de l’homme au Rwanda (1993), interviewé par Le Nouvel Observateur du 04/08/1994.

« J’ai eu deux grands chocs dans ma vie. Le premier lorsque j’ai découvert, qu’en Algérie, on avait institutionnalisé la torture. Le deuxième, en janvier 1993, quand j’ai vu des instructeurs français dans les camps militaires de Bigogwe, situés entre Gisenyi et Ruhengeri. C’est là qu’on amenait des civils par camions entiers. Ils étaient torturés et tués, puis enterrés dans une fosse commune que nous avons identifiée près du cimetière de Gisenyi ».

Jean Carbonare, rapporteur de la Commission internationale sur les violations des Droits de l’homme au Rwanda.

 

Témoignage de Janvier Africa, repenti des escadrons de la mort du « Réseau Zéro »  (pièce écrite communiquée à la commission)

 

 « Au début 1992, nous avons perpétré notre premier massacre. Près de 70 d’entre nous ont été envoyés à Ruhengeri tuer des Tutsis du clan Bagogwe. Nous en avons massacré environ 10 000 en un mois, à partir de notre base du camp militaire de Mukamira, à Ruhengeri. Deux semaines plus tard, on nous envoyait à Bugesera, où nous avons liquidé environ 5 000 personnes. » (Propos recueillis par Mark Huband, in The Weekly Mail and Guardian de Johannesbourg, repris par Courrier international du 30/06/1994).

 

Le rapport de la MPIR confirme que les instructeurs français (des DAMI) intervenaient à Bagogwe et Mukamira :

« Les personnels DAMI vivaient en dehors de la capitale, dans des camps militaires d’instruction, avec leurs élèves, dont ils assuraient la formation. » « L’instruction s’effectue dans les camps suivants : les camps de base à Mukamira [...] ; le centre commando de Bigogwe [...] ». Rapport de la Mission d’information parlementaire sur le Rwanda (MIPR), p. 146 et 148.

 

 Janvier Africa assure que des Français ont formé les « escadrons de la mort » et des miliciens en 1991-1992

 

« Les militaires français nous ont appris à capturer nos victimes et à les attacher. Cela se passait dans une base au centre de Kigali. C’est là qu’on torturait, et c’est là également que l’autorité militaire française avait ses quartiers. [...] Dans ce camp, j’ai vu les Français apprendre aux Interahamwe à lancer des couteaux et à assembler des fusils. Ce sont les Français qui nous ont formés – un commandant français – pendant plusieurs semaines d’affilée, soit au total quatre mois d’entraînement entre février 1991 et janvier 1992. » Outre le « commandant français », Janvier Africa évoque aussi « deux militaires français ». (Propos recueillis par Mark Huband, in The Weekly Mail and Guardian de Johannesbourg, repris par Courrier international du 30/06/1994).

Rappelons que début 1993 Jean Carbonare a ramené plusieurs heures d’enregistrement vidéo de la confession de Janvier Africa, et qu’il a transmis ce document au responsable Afrique de l’Élysée, Bruno Delaye.

 

Précisions du rapporteur : Janvier Africa est un personnage trouble, ce qui peut inciter à se méfier de son témoignage. Mais ce qu’il a affirmé  dans une longue confession filmée en 1993, et ce qu’il a répété ensuite à plusieurs journalistes, a été largement vérifié par les événements ultérieurs.

 

Pour mémoire, version de la Mission d’information parlementaire sur le Rwanda (MIPR, p. 369-370) :

« La participation de la France à la formation et l’encadrement des milices reste une accusation que les responsables rwandais, rencontrés par les rapporteurs lors de leur mission à Kigali, portent encore contre la France. A l’appui de cette accusation, la Mission n’a eu connaissance que des faits suivants. Tout d’abord, la déclaration faite par M. Vénuste Kayimahe, précédemment cité lors de l’opération Amaryllis. Celui-ci dit avoir vu les milices entraînées dans Kigali par deux militaires français dont il a cité les noms. Ces deux militaires, qui faisaient partie des 24 assistants militaires techniques restés sur place après le 15 décembre 1993, ont été entendus par la Mission ainsi que leurs chefs hiérarchiques. Il est alors apparu que le témoignage de M. Vénuste Kayimahe était en contradiction avec ce qu’ont déclaré ces derniers. Le fait qu’une des deux personnes citées ait, pendant quelque temps, dirigé l’équipe du DAMI placée auprès de la Garde présidentielle explique sans doute l’amalgame.

De novembre 1991 à février 1993, la garde présidentielle rwandaise a en effet bénéficié de la présence d’un DAMI-Garde présidentielle constitué par une équipe de deux à trois officiers dirigée par le lieutenant-colonel Denis Roux. La mission de ce DAMI consistait à faire de la formation physique et sportive, de l’entraînement au tir, de l’apprentissage des techniques de protection de personnalités. Au départ de ce coopérant, il a été décidé de ne pas procéder à son remplacement.

L’autre “pièce à conviction” destinée à confondre la France montre une photo d’un soldat, français selon toute vraisem­blance qui court avec, à ses côtés, un groupe de jeunes gens en civil. Cette photo constitue, avec la communication d’une lettre concernant une demande d’enquête sur l’attentat, le seul document incriminant la France que les autorités rwandaises à Kigali ont transmis à la Mission. […]

Si les opérations de contrôle menées par les militaires français en février et mars 1993 appellent des critiques de la part de la Mission, il n’est pas acceptable de présenter cette action, qui a réellement eu lieu, en la mettant sur le même plan qu’une affir­mation, jamais sérieusement étayée à ce jour, d’entraînement des milices par les soldats français. »

 

Denis Roux appartenait à la gendarmerie, très probablement au GIGN : de fin 1998 à mi-2002, il commandera la sécurité de l’Élysée, puis sera promu colonel. Il n’a pas été interrogé par la MIPR.

 

Rappelons la scène célèbre de l’officier du GIGN qui s’effondre en pleurs à Bisesero lors de l’opération Turquoise (L’inavouable de Patrick de Saint-Exupéry, Les arènes, 2004, p. 91) : « Sur son uniforme de gendarme français, il portait une vareuse de l’armée rwandaise ». « Il s’est peu à peu désarticulé et a fini assis dans l’herbe, où il s’est mis à sangloter. […] Il […] nous a dit : “L’année dernière, j’ai entraîné la garde présidentielle rwandaise…”. Ses yeux étaient hagards. Il était perdu. Le passé venait de télescoper le présent. Il avait formé des tueurs, les tueurs d’un génocide. »

 

Témoignage d’Alison Des Forges, de Human Rights Watch (HRW), auteur du rapport de référence : HRW et FIDH, Aucun témoin ne doit survivre, Karthala, 1999

L’un des problèmes, en fait, c’est que se mélangeaient, dans les camps d’entraînement où intervenaient les instructeurs français, la formation des commandos de la Garde présidentielle, celle des escadrons de la mort et celle des encadreurs miliciens, dans le contexte d’un décuplement du nombre d’hommes en armes – les commandos de la Garde n’étant pas les moins coupables d’acharnement génocidaire.

 

  Formation de militaires et miliciens rwandais en Centrafrique après le génocide 

 

« Human Rights Watch a enregistré des allégations selon lesquelles des militaires et des miliciens hutu conti­nuaient à recevoir une formation militaire dans un camp militaire français situé en République Centrafricaine longtemps après la défaite des FAR. Human Rights Watch a appris des leaders hutus qu’à au moins une occasion les membres des milices hutu venant du Rwanda et du Burundi ont voyagé par un vol d’Air Cameroun, de Nairobi à Bangui, capitale de la République Centrafricaine, via Douala (au Cameroun), entre le 16 et le 18 octobre 1994, pour suivre une formation accordée par des soldats français qui y sont basés. » Ces deux phrases s’appuient sur une série d’interviews « réalisés avec les fonctionnaires de l’ancien gouvernement rwandais, les officiers des ex-FAR et les chefs des miliciens, ainsi que des leaders hutu du Burundi, Nairobi, février 1995, et Uvira et Bujumbura, mars 1995 ». (Rapport HRW/A, Rwanda/Zaïre, Réarmement dans l’impunité. Le soutien international aux perpétrateurs du génocide rwandais, mai 1995, p. 9-10)

 

Témoignage filmé d’Alison Des Forges

 

Commentaires et questions de la commission

Les milices (de jeunes ou d’autodéfense territoriale) n’ont pas surgi par hasard. Cela relève d’une certaine manière de faire la guerre. Or ce sont les Français qui conseillaient l’état-major rwandais, et même en 1993 portaient à bout de bras l’armée rwandaise.

 

Yves Ternon :  il faut être attentif à ne pas faire d’anachronisme. La formation des milices n’était pas obligatoirement destinée au génocide.

 

Géraud de la Pradelle fait remarquer que, au niveau légal, on ne peut pas parler de complicité de génocide avant que ce dernier ait commencé.

 

François-Xavier Verschave : les faits avancés dans le témoignage d’Immaculée Cattier relèveraient, s’ils étaient confirmés, de la complicité de crime contre l’humanité.

 

1.2 Continuation après le 7 avril 1994 de l’alliance militaire antérieure

 

  Rencontre Huchon-Rwabalinda (9-13 mai 1994). Présentation du compte-rendu (non annexé par la MIPR).            Source : renvoi au témoignage de Colette Braeckman, le 25 mars

Le général Jean-Pierre Huchon commandait la Mission militaire de Coopération. Le lieutenant-colonel Ephrem Rwabalinda était l’adjoint du chef d’état-major des Forces armées rwandaises (FAR), qui encadraient le génocide.

(Selon le lieutenant-colonel Jean-Jacques Maurin, interrogé par la MIPR, Rwabalinda est mort à Goma. Il aurait été abattu par ses propres congénères qui l’auraient considéré comme un traître.)

 

« 3. Les priorités suivantes ont été abordées.

 

a. Le soutien du Rwanda par la France sur le plan de la politique internationale. [c’est nous qui soulignons]

 

b. La présence phyisique des militaires Français au Rwanda ou tout au moins d'un contingent d'instructeurs pour les actions de coups de mains dans le cadre la coopération.

 

c. L'utilisation indirecte des troupes étrangères régulières ou non. […]

 

4. Avis et considérations du Général HUCHON.

 

a. […] La maison militaire de coopération prépare les actions de secours à mener à notre faveur. […]

Il urge de s'aménager une zone sous contrôle des FAR où les opérations d'atterrissage peuvent se faire en toute sécurité. La piste de KAMEMBE a été retene convenable aux opérations à condition de boucher les trous éventuels et d'écarter les espions qui circulent aux alentours de cet aéroport.

 

b. Ne pas sous-estimer l'adversaire qui aujourd'hui dispose de grands moyens. Tenir compte de ses alliés puissants.

 

c. Placer le contexte de cette guerre dans le temps. La guerre sera longue. […] »

 

  La liaison cryptée.

« Le téléphone sécurisé permettant au Général Bizimungu et au Général Huchon de converser sans être écouté (cryptophonie) par une tierce personne a été acheminé sur Kigali. Dix sept petits postes à 7 fréquences chacun ont été également envoyés pour faciliter les communications entre les Unités de la ville de Kigali. Ils sont en attente d’embarquement à Ostende. »

 

435 000 FF ont été prélevés le 5 mai 1994 sur le compte de la Banque de France au profit de la BNR. Bénéficiaire : Alcatel (voir Présomptions de complicité financière).

 

  Besoins d’armement

« 3. Les priorités suivantes ont été abordées : […]

Besoins urgents :

- Munitions pour la Bie [batterie] 105mm (2.000 coups au moins).

- Compléter les munitions pour les armes individuelles au besoin en passant indirectement par les pays voisins amis du Rwanda.

- Habillement

- Matériel de transmission. »

 

Voir plus loin le lien intensif entre le général Huchon et le lieutenant-colonel Kayumba pendant le génocide (« les actions de secours à mener en notre faveur ») et l’utilisation de l’aéroport de Goma tenu par les Français.

 

  Le problème d’image

« 4. Avis et considérations du Général HUCHON.

 

a. Il faut sans tarder fournir toutes les preuves prouvant la légitimité de la guerre que mène le Rwanda de façon à retourner l’opinion internationale en faveur du Rwanda et pouvoir reprendre la coopération bilatérale. […]

 

d. Lors des entretiens suivants au cours desquels j’ai insisté sur les actions immédiates et à moyen terme, attendues de la France, le général Huchon m’a clairement fait comprendre que les militaires français ont les mains et les pieds liés pour faire une intervention quelconque en notre faveur à cause de l’opinion des médias que seul le FPR semble piloter. Si rien n’est fait pour retourner l’image du pays à l’extérieur, les responsables militaires et politiques du Rwanda seront tenus responsables des massacres commis au Rwanda.

Il est revenu sur ce point plusieurs fois. Le gouvernement Français, a-t-il conclu, n’acceptera pas d’être accusé de soutenir les gens que l’opinion internationale condamne et qui ne se défendent pas. Le combat des médias constitue une urgence. Il conditionne d’autres opérations ultérieures [...] ».

 

 

Audition et témoignage de Jean-Pierre Chrétien sur le changement de ton des médias du génocide après la visite de Rwabalinda.

 

Dans l’ouvrage de J.P. Chrétien, Les médias du génocide, il est fait état qu’au mois de mai a lieu une sorte de « normalisation du régime », juste après le retour de France de l’officier Rwabalinda. La radio RTML signale de « bonnes nouvelles venant de France », et insiste sur la nécessité d’être attentif à l’image donnée à l’extérieur.

Le 18 mai, il est demandé de ne pas laisser traîner les cadavres, et ce pour continuer à profiter de l’aide française. Au travers de nombreuses déclarations, on voit deux sortes de propagande : l’entretien du mythe de l’autodéfense hutu contre l’agresseur tutsi, mais aussi une volonté de gérer le regard international quitte à modérer les tueries ou les aménager (stratégie de la dissimulation). Quelle est la part du contexte international, des conseils français du général Huchon ou des déclarations de Bernard Kouchner sur Radio-Rwanda ?

JP Chrétien s’étonne que la défense des responsables des médias du génocide n’ait pas utilisé les responsabilités françaises comme circonstances atténuantes.

Pour JP Chrétien, les conseils venus de Paris n’étaient peut-être pas les seuls. Et l’inflexion de la stratégie du pouvoir génocidaire tient peut-être aussi de la progression du FPR.

 

Question de Y. Ternon : combien de militaires français sont sous l’uniforme français au Rwanda le soir du 7 avril ?

Réponse : 47 d’après Alison Des Forges. Et le conseiller Maurin était là dans la nuit du 6 au 7, lors de l’attentat contre l’avion d’Habyarimana.

 

  Liaison par des agents.

Témoignage écrit de P. Galinier, coopérant français AFVP à Huye (préfecture de Butare).

Trois militaires français du 8e RPIMa de Castres sont venus le voir en janvier 1992 à Huye où il résidait. Il leur a offert une bière. Avant de partir, le plus âgé lui a demandé d’informer « Alain Bossac, garagiste français travaillant à Butare », consul honoraire, de tout fait paraissant inhabituel sur Huye. Celui-ci a été l’un des trois Européens (avec un couple de pasteurs suisses) à rester à Butare pendant le génocide, « en relation permanente avec les responsables des FAR pendant trois mois. Il a été évacué par des militaires de l’opération Turquoise la veille de la prise de Butare par le FPR ».

Le 8e RPIMa et le 2e REP sont deux régiments « à vocation coloniale », « spécialisés dans les opérations secrètes » (Patrick de Saint-Exupéry, L’inavouable, p. 244).

 

  Rejet des éléments modérés des FAR

Le 9 novembre 1994 à Biarritz, Colette Braeckman a apporté le témoignage suivant :

« J’ai rencontré à Kigali, fin août, des éléments de l’armée rwandaise qui étaient revenus subrepticement au Rwanda. Ils m’ont dit que, lorsqu’ils se trouvaient dans la zone Turquoise, ils avaient fait état à l’armée française de leur volonté de rejoindre Kigali, en disant : “La guerre est finie. On doit former une armée nationale. Nous ne sommes pas d’accord avec le génocide qui a été commis et nous voulons rentrer à Kigali”. Les militaires français les ont mis dans un hélicoptère et les ont a déposés à Bukavu, où s’était replié l’état-major des FAR, en leur disant : Arrangez-vous avec vos supérieurs ! Un autre s’est fait injurier lorsqu’il a dit qu’il voulait rentrer. Il s’est fait traiter, je cite, de sale nègre par un officier français qui a ajouté : “On va te couper la tête si tu rentres à Kigali”. Il a dû aller au Zaïre, et le FPR est venu le rechercher à Goma. » (L’Afrique à Biarritz. Mise en examen de la politique française, Karthala, 1995, p. 131)

 

Continuation des liens militaires et politiques avec les FAR et leur chef Augustin Bizimungu.

 

  Juillet 1994. Dallaire rencontre plusieurs fois Augustin Bizimungu dans un environnement très français

Dallaire, p 585. L’auteur indique qu’il a rencontré le général Bizimungu le 16 juillet 1994 à Goma, conduit par le général Lafourcade au milieu du camp de l’opération Turquoise. Lafourcade demanda à Dallaire d’être discret sur la façon dont la rencontre avait été arrangée : « Cela pourrait paraître suspect que le dirigeant de l’AGR [Armée gouvernementale rwandaise, plus connue sous le sigle FAR] soit à l’intérieur du camp militaire français ».

 

Dallaire, p 621-622. Lafourcade fournit une escorte à Dallaire pour qu’il puisse à nouveau, le 12 août 1994, rencontrer le général Bizimungu, ancien chef d’état major des FAR, qui a demandé à le voir. « Il [Bizimungu] était entouré de quelques officiers supérieurs zaïrois, de quelques officiers français et […] du même énorme Lieutenant-colonel qui s’était présenté au bureau de Bagosora, le 7 avril (son G2, ou officier au renseignement, un homme que l’on disait largement impliqué dans le génocide). » Confortablement installé sur une colline qui surplombe le lac Kivu, le général Bizimungu « semblait parfaitement dans son élément ».

 

Paris prépare immédiatement la revanche

L’opération Turquoise protège la retraite des FAR, les laisse emporter leurs armes puis se reconstituer dans les camps du Kivu, chez l’allié Mobutu.

 

Patrick de Saint-Exupéry, L’inavouable p. 132. « Mi-juillet, l’armée rwandaise gagne en toute quiétude le refuge zaïrois. Des colonnes entières passent avec armes, véhicules, camions tractés, automitrailleuses légères, blindés Panhard… »

 

La Croix, Situation explosive dans les camps, 29/10/1994 (Maria Malagardis) : « Samedi dernier, le chef d’état-major de cette armée en déroute [les FAR], le général Augustin Bizimungu, affirmait que ses troupes étaient prêtes à relancer la guerre civile au Rwanda et a assuré disposer d’armes en quantité suffisante pour monter une attaque. Un autre haut responsable du régime déchu, Mathieu Ngirumpatse, chef de l’ancien parti unique, a révélé que les troupes des FAR sont en train de se transformer en guérilla dans l’intention de déstabiliser le nouveau régime de Kigali. »

 

Selon Chris Mc Greal, Routed Rwandan army plans intifada-style comeback [L’armée rwandaise vaincue prépare un retour de type Intifada], The Guardian du 19/12/1994), environ 5 000 soldats de ex-FAR ont été convoyés en bus jusqu’au camp de Chimanga (Sud-Kivu). Ils y suivaient un programme rigoureux. Le chef du camp, le colonel Munyakasi, « s’est vanté que des militaires français lui avaient offert de l’aider à entraîner ses hommes » [has bragged of French military offers to help train his men]. Il se trouve qu’à l’automne 1994, plusieurs attachés militaires français ont été dépêchés depuis la France et Kinshasa jusqu’à Goma et Bukavu.

 

Plus que jamais l’allié de la France, le Zaïre de Mobutu s’en mêle. Selon Tadele Slassie, commandant en chef des Nations unies dans la région, les forces zaïroises étaient en novembre 1994 en train de former ces soldats (cf. Kathi Austin, Le prochain cauchemar du Rwanda, in The Washington Post du 20/11/1994). En mai 1995, le rapport de Human Rights Watch (Rwanda/Zaïre, Réarmement dans l'impunité. Le soutien international aux perpétrateurs du génocide rwandais) a apporté toute une série de précisions sur l’implication du Zaïre. Extraits :

 

« Les auteurs du génocide rwandais sont parvenus à reconstituer leur infrastructure militaire. » p. 2

« Actuellement, les ex-Forces armées rwandaises comptent sur une force qui se monte à 50 000 hommes répartis sur une douzaine de camps, et ont réussi à ramener plus fermement les milices sous leur contrôle. Ces forces ont déjà lancé des raids à travers les frontières pour déstabiliser la situation déjà précaire au Rwanda, glaner des informations et gagner une expérience nécessaire pour une future offensive contre le gouvernement actuel de Kigali. » p. 3

 « Les ex-Forces armées rwandaises et les miliciens continuent à jouir de l’impunité, aucune arrestation, aucune poursuite pour leur participation présumée dans le génocide de l’an passé. » p. 4

« Les forces zaïroises proches du Président Mobutu Sese Seko ont joué un rôle crucial en facilitant la renaissance en une puissante force militaire de ceux qui sont directement compromis dans le génocide rwandais. » p. 5

« Human Rights Watch a pu interviewer des représentants du “gouvernement rwandais en exil”, comme le Premier Ministre Jean Kambanda, à Goma et à Bukavu, au cours de l’enquête, et les fonctionnaires du gouvernement Habyarimana déclaraient encore ouvertement, le 26 avril 1995, que le “gouvernement rwandais en exil” était basé au Zaïre. Derrière le Zaïre se tient la France. » p. 6

« La plupart des armes lourdes et des équipements que les ex-FAR ont pu amener avec eux au-delà de la frontière, y compris des auto-blindés de fabrications françaises AML 60 et AML 90, des transporteurs blindés pour mortiers de 120 mm, différents canons anti-aériens, des lance-roquettes, des obusiers, des mortiers et des camions militaires, sont gardés en bonne condition sur une [...] base militaire zaïroise de Goma. Human Rights Watch a pu voir ces armes et […] assister à l’entretien régulier de ces armes et des véhicules militaires par les soldats des ex-FAR. » p. 13

Human Rights Watch a identifié cinq sites de camps militaires dans l’est du Zaïre [Lac Vert au Nord-Kivu, Panzi près de Bukavu, le camp secret de Bilongue au Sud-Kivu, des camps “civils” militarisés dans la région d’Uvira (Kamanyola, Kanganiro, Lubarika, Luvungi et Luberizi), de petits camps de guérilla dans l’île Idjwi (lac Kivu)]. [...] Kamanyola [est] situé à seulement 800 mètres de la frontière avec le Burundi et à quelques kilomètres de la frontière avec le Rwanda. » p. 14

« De sources locales, les autorités zaïroises, civiles et militaires, auraient menacé les journalistes et les militants des droits de l’homme à Goma et Bukavu, les mettant en garde de publier, ni sur les activités des ex-FAR et des miliciens, ni sur les lieux où leurs camps sont situés. [...] Les militaires zaïrois et les commandants de la Garde civile (zaïroise) ont permis aux éléments des ex-FAR et des milices de résider dans quelques bases militaires appartenant à l’armée zaïroise […] et d’y mener des exercices d’entraînement. » p. 15

 

Les liens militaires franco-zaïrois, jamais interrompus (le général Jeannou Lacaze continuait de conseiller le maréchal Mobutu pendant le « boycott » officiel), ont été considérablement renforcés avec l’opération Turquoise.

 

Témoignage filmé d’Alison Des Forges.

 

La France transporte le colonel Bagosora et le leader des Interahamwe Jean-Baptiste Gatete

Human Rights Watch, Rwanda/Zaïre, Réarmement dans l’impunité, mai 1995, p. 9 :

« Selon les fonctionnaires des Nations Unies [interviewés entre août 19994 et mars 1995], les militaires français ont fait voyager par avion des officiers importants, y compris le colonel Théoneste Bagosora et le leader des miliciens Interahamwe Jean-Baptiste Gatete, ainsi que les troupes d’élite des FAR et des miliciens en dehors de Goma, vers des destinations non identifiées, entre les mois de juillet et septembre 1994. »

 

Témoignage filmé d’Alison Des Forges.

 

Augustin Bizimungu et ses troupes appuient à Brazzaville la reconquête du pouvoir par Denis Sassou Nguesso

Patrick de Saint-Exupéry, L’inavouable p. 186. « En 1998, […] le général Augustin Bizimungu, ancien « ministre de la Défense » du gouvernement des tueurs, rejoint l’entourage proche de Denis Sassou Nguesso, un allié de la France qui, sur fond d’une terrible guerre civile, reprend les rênes du Congo-Brazzaville. »

 

La milice reconnaissante

Patrick de Saint-Exupéry, L’inavouable p. 24-25. Arrivée des soldats de Turquoise. « Et l’on n’entendait que les vivats de la foule saluant, dans une ambiance de match de football, l’arrivée de l’armée française. Nous étions en juin 1994. […] Ils déployèrent […] leurs banderoles “Vive la France ! Merci, François Mitterrand !”, agitèrent leurs drapeaux tricolores et se lancèrent dans des danses triomphales tandis que déboulaient les soldats français. […] Un pick-up chargé de miliciens se plaça au milieu d’un convoi [de Turquoise]. “Vive la France !”, criaient les tueurs embarqués dans le véhicule. “Vive les Français”, reprenait la foule. […] Comme si les troupes américaines avaient été accueillies en fanfare par les gardiens de Treblinka, en 1945. ».

 

Connaissance par la France des « listes » de personnes à abattre

 

Suite du témoignage d’Immaculée Cattier.

 

L’une de ses amies travaillait au PNUD. En 1992, sauvagement agressée et laissée pour morte, elle est sauvée par une connaissance qui l’amène à l’hôpital.

 

« Ma copine avait une amie de ma région que je connaissais bien qui avait une liaison avec un militaire français, attaché à l’Ambassade de France au Rwanda. (Il m’avait donné sa carte de visite).

Quand elle a été rendre visite à notre amie commune, qui avait été blessée, elle est venue avec son ami militaire. Ce militaire a dit à mon amie : « Fais attention à toi, si tu n’es pas morte cette fois, tu mourras la fois prochaine car tu es sur la liste noire. » Pour continuer, il lui dit : « et d’ailleurs je ne vois pas ce que tu fais encore ici, je sais que tu as une sœur mariée à un blanc et qui vit en Europe, je ne vois pas pourquoi ils ne t’évacuent pas tant que c’est encore possible ». Cet attaché militaire à l’ambassade a aidé mon amie à fuir. Pour entrer dans l’avion, il l’a fait passer dans un endroit officiel. Nous avons fait enregistrer ses bagages sans elle. Cette gentillesse de notre ami attaché militaire montre bien que l’ambassade de France au Rwanda connaissait les dossiers de guerre, jusqu’aux listes des Tutsi. »

 

1.3  Méthodologie, forces spéciales et supplétifs

 

Extraits du livre de Patrick de Saint-Exupéry, L’inavouable sur la « guerre révolutionnaire ».

p. 246-247. Un officier confie à Patrick de Saint-Exupéry : « Dès le 23 janvier 1991, je m’aperçois qu’une structure parallèle de commandement militaire français a été mise en place. À cette époque, il est évident que l’Élysée veut que le Rwanda soit traité de manière confidentielle. »

Un autre : « Hors hiérarchie, le lieutenant-colonel Canovas [chef des DAMI] est régulièrement reçu par le chef d’état major des armées. »

Évoquant l’élément déclencheur de l’arrivée des troupes françaises, en octobre 1990, les députés de la Mission d’information parlementaire parlent (p. 81) de « l’attaque simulée sur Kigali ». « Celle-ci, disent-ils, servit à la fois de “leurre” et de “levier”. »

 

p. 247-248. Citation du rapport de la Mission parlementaire (MIPR, p. 138-139) :

« Dans le rapport qu’il établit le 30 avril 1991, au terme de sa deuxième mission de conseil, le colonel Gilbert Canovas rappelle les aménagements intervenus dans l’armée rwandaise depuis le 1er octobre 1990, notamment :

- La mise en place de secteurs opérationnels afin de faire face à l’adversaire. […]

- Le recrutement en grand nombre de militaires de rang et la mobilisation des réservistes, qui a permis le quasi-doublement des effectifs […].

- La réduction du temps de formation initiale des soldats, limitée à l’utilisation de l’arme individuelle en dotation. […]

- Le colonel Canovas souligne également […] que “l’évident avantage concédé” aux rebelles au début des hostilités “été compensé par une offensive médiatique” menée par les Rwandais à partir du mois de décembre. »

 

Et Saint-Exupéry de commenter : « “Secteurs opérationnels”, cela signifie “quadrillage”. “Recrutement en grand nombre”, cela signifie “mobilisation populaire”. “Réduction du temps de formation”, cela signifie “milices”. “Offensive médiatique”, cela signifie “guerre psychologique”. »

 

p. 252-253. « Nous avons instruit les tueurs. Nous leur avons fourni la technologie : notre “théorie”. Nous leur avons fourni la méthodologie : notre “doctrine”. Nous avons appliqué au Rwanda un vieux concept tiré de notre histoire d’empire. De nos guerres coloniales. Des guerres qui devinrent “révolutionnaires” à l’épreuve de l’Indochine. Puis se firent “psychologiques” en Algérie. Des “guerres totales”. Avec des dégâts totaux. Les “guerres sales”. »

 

p. 267. La « guerre révolutionnaire » est une doctrine qui, selon le colonel Thiéblemont, finalise « l’usage des pratiques de propagande et de coercition de masse ».

Patrick de Saint-Exupéry, L’inavouable : « Elle repose sur six grands principes : le déplacement de populations à grande échelle, le fichage systématique, la création de milices d’autodéfense, l’action psychologique, le quadrillage territorial et les “hiérarchies parallèles”. ».

De Gaulle avait mis un coup d’arrêt aux emballements des premiers théoriciens Lacheroy et Trinquier, inspirateurs d’Aussaresses (puis de la CIA, des dictatures grecque et latino-américaines). Mais, « en ce début des années 1990, les apprentis sorciers sortent de leurs laboratoires et assiègent la Présidence de la République afin de fourguer leur “pierre philosophale”, comme nous l’a confié un officier français. »

 

p. 270-271. « Nous vaincrons ces ennemis que nous désignons par l’expression « khmers noirs de l’Afrique ». Une expression à l’image du sens profond de la guerre que nous entendons livrer. En notre imaginaire, nous rejouons l’Indochine au Rwanda. »

 

p. 275. La vision des apprentis-sorciers « justifiera la transformation d’un pays en un vaste laboratoire. Nous testerons, sur le terrain rwandais, l’efficacité de la nouvelle arme dont nous entendons doter notre armée.

p. 276. « L’amiral Lanxade se fera l’interprète de ce rêve de monarque et d’officiers. Il s’agit de créer, en dehors de tout contrôle, au nez et à la barbe de nos institutions et de notre Parlement, une structure appelée à être le bras armé de notre désir d’empire, de ce souverain désir de puissance. Une légion aux ordres de l’Élysée… » Le COS.

« Deux hommes – notre Président de la République et notre chef d’état-major – placent sous leur autorité directe, à l’exception de toute autre, les unités les plus aguerries de notre armée. »

p. 277. « Le COS est une structure “politico-militaire”. Le Commandement des opérations spéciales est le bras armé de notre pouvoir. Son fonctionnement est tellement secret que rien ne peut filtrer. […] Les troupes du COS n’ont pas la moindre idée du schéma d’ensemble lorsqu’elles sont appelées à servir. »

« Les prérogatives de ce bras armé sont illimitées. Elles tiennent en quatre mots : “Assistance, soutien, neutralisation et actions d’influence.” »

 

p. 277-278. « En 1993, […] l’amiral Lanxade autorise le COS à développer des capacités de guerre psychologique. […] Les apprentis sorciers ont gagné. […] Le Rwanda leur servira de laboratoire. […] Le profil du Rwanda – dictature, crise interne, effondrement économique, surpopulation, apparition d’une guérilla – est totalement adapté à une “guerre révolutionnaire”. C’est idéal. Vraiment idéal. Nous en ferons donc notre champ d’expérimentation. »

p. 278. « La décision est prise avant même que la guerre entre le FPR et le régime Habyarimana n’éclate. […] L’opération “grise” est déjà dans les cartons, il ne manque qu’un prétexte. »

p. 280. C’est Canovas qui « mettra en place les éléments-clés de notre “guerre révolutionnaire” : le quadrillage des populations, la mobilisation populaire, la mise en place des milices d’autodéfense, la guerre psychologique… Le lieutenant-colonel Canovas est appuyé par l’amiral Lanxade, chef d’état-major des armées, le général Quesnot, chef d’état-major particulier de François Mitterrand, et le général Huchon, qui, après avoir été l’adjoint à l’Élysée du général Quesnot, prendra la tête de la Mission militaire de coopération, rue Monsieur. »

p. 280. « Nous mettons en place au Rwanda une guerre “totale”. »

p. 281-282. Cette « guerre révolutionnaire » est « un outil “cannibale”. C’est une doctrine qui vise à broyer l’homme, à le nier, à le transformer en un nœud de peurs, en une boule de nerfs, afin de le priver de tout libre-arbitre. »

 

Le général Quesnot, devant la Mission d’information parlementaire, s’est dit « avoir été fasciné par le spectacle de la peur et de la haine de l’autre au Rwanda. » « Cette guerre était une vraie guerre, totale et très cruelle. » (cité par PSE, p. 282)

 

  Audition par la CEC de  Gabriel Périès, chercheur, spécialiste des doctrines de guerre

 

Gabriel Périès, enseignant-chercheur à la faculté d’Évry, travaille sur les doctrines de l’armée française. A fait une thèse de doctorat en suivant la piste latino-américaine.

En étudiant récemment le cas rwandais, M. Périès retrouve des analogies avec le cas argentin. L’Etat se structurait d’une certaine façon. Il y a très peu de documents sur la création de l’État rwandais. À partir de 1959, les argentins ont organisés avec l’aide d’officiers français territorialisation militaire de l’Argentine. M. Périès a le sentiment qu’on retrouve au Rwanda le même type de structures :

 

-Hiérarchies parallèles : (structure clandestine) arme en soi.

-Contrôle des populations : quadrillage très précis, jusqu’au niveau des maisons.

 

Au Rwanda, c’est l’Etat lui-même qui va fonctionner comme cela, grâce à la parcellisation des structures administratives, auxquelles il faut ajouter les structures du parti unique et de l’Église.

1975 est marqué le début de la coopération franco-rwandaise mais aussi  par le retour des officiers français en Argentine.

Valéry Giscard d’Estaing  a été formé militairement par le père de cette doctrine, Lacheroy. Il y a une tradition de cette doctrine dans l’Etat français. Cette dernière connaît une éclipse pendant la période de la dissuasion nucléaire.

Lacheroi fait de sa doctrine une école où la peur est employée pour maîtriser les populations.

Terreur sociologique (ciblée par professions, zones géographiques).

 

Les contenus des doctrines renvoient au discours d’inauguration de l’Ecole Française de guerre. (De Lattre)

Cohésion de la population avec le président par la peur.

D’un point de vue strictement militaire, cette doctrine permet de ressouder la société (en période de guerre civile) autour d’un Etat régénéré.

Ces doctrines militaires sont des technologies clé en main qui utilisent un savoir-faire organisationnel colonial.

Hypothèse de G.Périès : que se passe-t-il entre 59 et 64 lors de la création de l’État rwandais ?

Cette doctrine de guerre totale détruit l’Etat- qui ne résiste pas à sa déliquescence et s’effondre en dominos sous son effet dévastateur.

À cet égard, le Rwanda  est exemplaire. Tant au niveau organisationnel qui a permis le génocide, que de sa fragilité quand il commence à s’effondrer.

Dans la doctrine de Lacheroy, on trouve moult citations de Mao que ce dernier n’a jamais écrit.

En faisant ses recherches, Périès a rencontré des officiers français qui partaient en Afrique avec les cours de Lacheroy sous le bras. L’administration rwandaise semble entièrement conçue selon le schéma de la guerre psychologique à la française.

 

Gérard Sadik : Quand est-ce que ces méthodes ont été importées au Rwanda, selon vous ? (75 : 1ère coopération ou 90 ?)

Au moment de la décolonisation, un certain nombre d’Etats vont être structurés selon cette doctrine. Elle est à un moment déterminé « le nec plus ultra » de la science militaire contemporaine. Il y a une analogie forte entre les méthodes des Etats de l’Amérique Latine et celles du Rwanda.

Bernard Jouanneau : Comment les militaires prennent-ils ainsi le pas sur le politique, les relations internationales ?

 

Exemple donné des pratiques appliquées contre Le Sentier Lumineux (lui-même utilisateur de la terreur de masse) : groupes d’auto-défense, hiérarchies parallèles.

 

Témoignages vidéos filmés par Georges Kapler au Rwanda

Georges Kapler a été mandaté par la Commission d’Enquête Citoyenne pour recueillir des témoignages au Rwanda du 16 février au 15 mars 2004. Plusieurs témoignages d’Interhamwe ont ainsi été filmés, notamment dans la prison de Gyangugu.

Les deux témoignages suivants évoquent l’épisode de la colline de Bisesero au début de l’Opération Turquoise. La version donnée par les deux témoins diffère radicalement de la version officielle de l’armée française (une opération de sauvetage qui aurait permis de sauver plusieurs centaines de vies humaines). Il est ici question d’un soutien des soldats français dans la traque des Tutsi (participation active). Plusieurs sources et témoignages convergent dans ce sens.

 

RWANDA Entretiens Georges Kapler (mi-février à mi-mars 2004)

1.      Témoignage Innocent Habimana Gisama

16 02 40 Je m'appelle Innocent Habimana Gisama. Je suis né à Kibuye.

16 19 42 Les Français sont arrivés le 27 juin. Nous étions restés peu nombreux, environ 5 ou 6000 rescapés. La plupart étaient blessés et nous étions tous affaiblis. À leur arrivée, je n'avais plus qu'un seul membre de ma famille, c'est un oncle qui s'appelle Naasson,* il ne reste plus que lui et moi parmi les descendants de mon grand-père. C'est après que j'ai appris qu'il me restait encore une sœur et un cousin germain, ils s'étaient cachés et j'expliquerai après comment cela c'est passé.

16 20 29 *Les Français sont arrivés par hélicoptère accompagnés d'Interahamwe, habillés avec des vêtements de la Croix Rouge, pour nous faire croire que c'étaient des gens de la Croix rouge. Ce sont eux qui nous appelaient par microphone en nous demandant de nous montrer et de sortir de nos cachettes - on se cachait dans les trous de des mines qui sont à Bisesero. Ils nous disaient qu'il fallait qu'on se montre parce qu'ils venaient nous sauver, qu'ils avaient l'intention de nous transporter à l'abri, dans les zones occupées par le Front Patriotique, là où il n'y avait aucun risque d'être tués. 16 21 18

16 21 30 Certains sont venus par hélicoptère avec les Français, il y avait entre autre trois hélicoptères, trois que j'ai vu de mes propres yeux. Les autres sont arrivés par jeep, il y en avait 3, je n'en ai pas vu d'autre, c'était des jeeps de Français avec des Interahamwe qui étaient déguisés avec des vêtements de la Croix Rouge, c'était une ruse pour qu'on ne les reconnaisse pas, ils étaient avec quelques militaires dans les jeeps.

16 22 01 Si je prends ceux qui sont arrivés par hélicoptère et ceux qui sont arrivés par la terre, ils ont utilisé le microphone pour nous dire qu'ils venaient pour nous sauver, que c'était l'occasion que leur donnaient les Français de nous sauver. "montrez-vous pour que les Français puissent vous mettre en sécurité." Ils nous parlaient en Kinyarwanda car les Français ne le parlent pas.

16 22 25 Parmi nous, il y avait nos dirigeants, on ne voulait rien faire sans les consulter, ils ont commencé par refuser la proposition parce qu'ils croyaient que c'était un mensonge. Les hélicoptères sont arrivés vers 9 Heures, 10 Heures ; à 12 - 13 heures, les hélicoptères étaient encore là, il nous semblait que les Français venaient nous sauver, sauf que ça s'est révélé faux. Ils nous lançaient des rations de combat, ils nous invitaient à manger et il nous donnaient de l'eau à boire.  Ils nous rassuraient : "montrez-vous,  plus personne ne sera tué".

* (suite collée) C'est après que tout le monde s'est montré et qu'ils se sont rendu compte que nous étions nombreux, on était plus nombreux que ce qu'ils pensaient. Vers 17 heures, le 27 juin, ils nous ont dit qu'on était plus nombreux que ce qu'ils pensaient. 16 23 30 Ils pensaient à une centaine de gens et ils ont constaté que nous étions entre 3 et 5000, ils nous ont demandé de rester là et la nuit commençait à tomber. Ils nous ont demandé de rester groupés parce qu'ils devaient aller à Kibuye chercher les camions pour nous transporter  à un endroit prévu en sécurité.

16 24 04 Avant les hélicos tournoyaient en l'air. Après, quand nous avons accepté de nous montrer, ils ont atterri au-dessus de la colline, là où il y a le monument aux morts de Bisesero.

Ils ont atterri, sauf un seul qui est descendu et les militaires français ont sauté sans qu'il atterrisse et il a continué à voler. Les hélicoptères qui ont atterri, c'est ceux qu'on avait l'habitude de voir au Rwanda, mais celui-là c'était un nouveau type d'hélicoptère que je ne connaissais pas (16 25 04). Il était plus long, les autres étaient plus tassés et celui là était assez allongé. (16 25 22) Il avait une forme de banane bien allongée avec deux hélices, plus petites que celles des hélicos habituels, devant et derrière.

16 25 30 Ils étaient à terre, mais avant d'atterrir, ils avaient tournoyé en l'air pendant deux ou trois heures. Pendant ce temps, les Interahamwe habillés en Croix Rouge s'étaient adressé à nous par microphone. Pendant qu'ils parlaient, les soldats français se montraient, c'était des Blancs, pour qu'on voie que ce n'était pas des soldats Rwandais et ceux qui se montraient n'étaient pas des Noirs.

16 26 02   Donc à 17 heures, ils nous ont dit qu'ils allaient en ville chercher les camions pour nous transporter, ils nous ont dit de ne pas avoir peur et de rester groupés si on voyait les camions arriver : " ne vous inquiétez pas, les camions viennent vous chercher, ne vous inquiétez pas ". Les camions sont arrivés entre 10 heures du soir et une heure du matin. Comme ils nous avaient dit de ne pas bouger, ils s'étaient montré agréables, on avait l'impression qu'ils étaient contents de nous sauver. Et nous, c'est ce qu'on souhaitait vu la situation dans laquelle on était depuis le début du génocide.  Au 26 juin, cela faisait trois mois. N'importe qui dans la même situation depuis trois mois accepterait. Quand les camions sont arrivés, on est resté tranquille. Si on s'était douté qu'il y avait un problème, on aurait pu fuir.

16 27 23 Les camions sont arrivés avec les Interahamwe, quelques soldats Rwandais et quelques soldats français, ils transportaient à peu près 500 personnes et il y avait plus de 10 camions, il y avait entre 50 et 80 soldats français.16 27 44 Les Interahamwe et les soldats Rwandais ont commencé à nous tirer dessus massivement, 16 27 50 les Français sont restés de coté éclairés par les phares des camions, on y voyait clair.

16 27 56 Nous on avait fait confiance en croyant que les camions venaient nous chercher, on ignorait qu'ils venaient nous tuer. Il y avait parmi eux les 16 28 15 Interahamwe qu'on connaissait et les soldats Rwandais, les Français regardaient comment ils nous tuaient. Ceux qui essayaient de s'échapper tombaient sur d'autres groupes d'Interahamwe, il n'y avait nulle part ou aller parce que les Interahamwe t'achevaient à la machette.

16 28 32 Ce jour là, ils m'ont coupé à la tête. Voyez ma cicatrice ! Pendant qu'il me coupaient à la tête, j'ai mis ma main et ils m'ont coupé la main. C'est à ce moment qu'ils ont coupé mon oncle, mais il a pu en réchapper et il a été tué plus tard au mois d'août.

16 28 56 Il s'était caché chez des gens jusqu'au mois d'août, et au mois d'août ils en ont eu marre de cacher un Inkotanyi,  ils traitaient tous les Tutsi Inkotanyi Ils l'ont tué sur l'incitation des Français qui vérifiaient que les gens avaient bien été tués, et les responsables de partis menaçaient également les gens qui avaient mis à l'abri les survivants.

16 29 24 La plupart des gens étaient tués sous le regard des Français, et les gens souvent sortaient de leurs cachettes car ils étaient rassurés par la présence des Français. Cela concerne Bisesero, mais aussi les environs de Kibuye.

16 29 35 Quand ils avaient appris que les Français étaient là, ils sortaient tous de leurs cachettes. Ca concernait toute la zone turquoise de Gikongoro à Cyangugu. Les hélicoptères la survolaient en lançant des appels. C'était pour que les gens sortent de leur cachette. Et une fois qu'ils en sortaient, on les tuait tous.

 

RWANDA Entretiens Georges Kapler (mi-février à mi-mars 2004)

Prison de CYANGUGU  K7 n°11

Témoignage Ahmed Bizimana

 

11 00 35           , Je m’appelle BIZIMANA Ahmed, né en 1969, à BUGARAMA commune de KAMABUYE.*

En 1994, j’ai été employé comme chauffeur de YUSUFU MUNYAKAZI, qui est de ma famille.*

11 01 20           Moi, en 94, après le génocide, j’étais un Hutu qui n'était pas recherché. * 11 01 26 Nos dirigeants nous ont enseigné que l'ennemi était le Tutsi.*

11 01 35           Cela avait commencé dès la plus petite école, on nous apprenait qu'il etait impossible qu'un Hutu et un Tutsi puissent s'entendre. Nous avons pris conscience que l'ennemi était le Tutsi, car il est toujours de mauvaise foi. 11 01 47 J'ai grandi dans cet état d'esprit. Lorsque, les partis politiques ont étés autorisés, j'étais prêt à m'engager, les responsables des partis, les ministres, les préfets ont continué à nous l’apprendre de manière plus intensive.

11 02 31 En 1992,  très motivé, je suis volontaire plutôt deux fois qu'une pour rejoindre un groupe de jeunes Hutu sélectionnés  au sein des Interahamwe, pour se battre pour notre pays, comme on nous l'avait apprit.

Pendant toute la guerre nous avons appliqué ce qui nous avait été enseigné.

11 03 10           J'ai aimé les Français, ce sont des gens qui nous ont beaucoup aidés au Rwanda. D’abord, pendant la guerre proprement dite, entre les Hutu et les Tutsi, entre les ex-Far et le FPR, les Inyenzi. Les Français nous ont beaucoup aidé. C’est d’eux que nous avons reçu le plus d’aide. La plupart des aides militaires venaient de France. C’est les Français qui entraînaient nos militaires qui, à leur tour, descendaient sur les collines pour nous entraîner. Ils nous amenaient le matériel qu'ils avaient reçu des Français, et ils nous apprenaient à les utiliser au combat, quand nécessaire.*

11 03 49 L'exemple que je peux donner… Des grenades, des fusils du type FAL, c’est les Français qui distribuaient tout ce matériel dans tout le pays.

11 04 13           En juin 1994, les Français sont arrivés dans notre pays. Ils entraient par le Congo. Ils logeaient à l'hôtel Résidence, c'est là que je les ai vus la première fois, à l'occasion d'une réunion avec le préfet et le commandant de la région, pour préparer leur entrée dans le pays par cette ville. Cet hôtel est du côté congolais, à BUKAVU.

 

11 04 47           Plus précisément, à l’hôtel Résidence, j’y suis allé avec MUNYAKAZI Yusufu. Dans une jeep de la marque Suzuki. Nous avons laissé la voiture et avons emprunté un minibus en compagnie du préfet et du commandant militaire ainsi que  le député BARIGIRA Félicien. Ils ont eu une réunion restreinte à l’hôtel.*

Nous sommes rentrés le soir avec deux Français qui nous ont accompagnés jusqu’au pont marquant la frontière. Il avait été décidé qu’ils entreraient le lendemain. Mais ils n’ont pas attendu le lendemain, ils sont rentrés dans la nuit, vers 8 heures du soir, masqués avec des tricots ninja sur le visage ! C'est des espèces de tricots noirs qui couvrent le visage avec des trous pour les yeux et la bouche. C'est bien de couleur noire.* (question)

Oui, ils sont entrés la nuit par le pont avec leurs jeeps et leur matériel. Ils disaient qu’il n’y avait plus de matériel de travail, ils nous ont approvisionnés en fusils, munitions, grenades et tout le reste.

11 06 10 Ils se sont divisés en petits groupes et se sont mis à rechercher les survivants tutsi. Quand ils en trouvaient, ils leur disaient qu'ils venaient les sauver alors que c'était un piège. Ils arrivaient, les rassuraient en leur disant qu'il n'y avait plus rien à craindre, qu'il n'y avait plus de problèmes. Ils repartaient et donnaient le signal en tirant en l’air. Nous comprenions donc que les Français partaient et les Interahamwe se mettaient en route pour aller tuer ces gens. (question) C’est les Français qui tiraient en l'air.

11 06 45           C’était un accord bien entendu entre nous et les Français. De toute façon, ils avaient la capacité de nous arrêter s’ils l’avaient voulu. Nous n’avions plus rien pour nous défendre. Et de leur côté, les Tutsi se défendaient autant qu'ils le pouvaient, à coups de cailloux et autres projectiles. D'avril à juin, ils avaient repris courage. Quand les Français sont arrivés, ils ont cru que les Français allaient les sauver et en fait les Français les ont trahis. Quand ils arrivaient près de leurs cachettes, ils mettaient leurs cagoules, ils ne voulaient pas être reconnus.*

11 07 34 Pourquoi je dis que certains Tutsi avaient repris courage ? Je le dis parce que c’est le cas. Ils espéraient qu'ils n'allaient plus mourir. Ici à CYANGUGU, le major CYIZA les avait protégés. Mais lorsque les Français sont arrivés, ils nous ont distribué du matériel pour pouvoir tuer ceux qui avaient échappé à la mort.

11 08 07           Nous autres avons trouvé la force et la manière de tuer ceux qui avaient échappé à la mort. A l’arrivée des Français, nous les avons accueillis comme nos alliés de toujours que nous connaissions vraiment bien. C'est vrai, ils nous l'ont prouvé, ils ne nous ont jamais rien interdit sur ce point. Eux, ils étaient contents de nous et n’ont jamais rien fait pour entraver le travail de ceux qui faisaient tout ça. Qui était l'ennemi ? Eux aussi savaient que l’ennemi était le Tutsi. Quand ils arrivaient à un endroit où il y avait des Tutsi… et à ce moment-là les Tutsi avaient faim, certains avaient passé beaucoup de jours sans rien manger, en se cachant dans la brousse… Les Français avaient des biscuits enrichis, des conserves. Au lieu de les donner à ces gens affamés, non, ils les donnaient aux Hutu et aux Interahamwe. Lorsqu’ils quittaient les lieux, ils tiraient en l’air, c'était le signal qui nous laissait le champ libre pour les tuer.

11 09 15           Un exemple que je peux donner, vous voyez, la première jeep qui est arrivée à MIBILIZI, le premier coup de frein c'est MIBILIZI, c’est là où les premiers Français se sont arrêtés. Il y avait des Tutsi qui y avaient survécu. Mais à cause de ce qui avait été décidé dans cette réunion - à laquelle je n’avais pas participé directement -, lorsque les Français ont quitté MIBILIZI pour retourner à KAMEMBE, ces gens ont été tués immédiatement. 11 09 43

11 09 50           Là, il y restait presque 3 000 personnes, elles furent toutes tuées. 11 09 59

11 10 03           A cette époque, il y avait beaucoup de cadavres dans le pays, c’est encore une fois les Français qui nous ont conseillé de jeter les corps dans l’eau ou de les enterrer au lieu de les laisser au vu et au su de tout le monde. A cette époque, les gens étaient tués et abandonnés sur place. C'était gênant de laisser les corps apparents, les Français nous ont demandé que nous les enterrions ou les jetions dans l’eau. Nous les jetions dans la RUSIZI. Chez nous à BUGARAMA, les gens ont tous été jetés dans l’eau de la RUSIZI, et elle les a emportés. (question 4 sec.)*

Je ne suis jamais allé à NYARUSHISHI, là où je suis allé c’est à MIBILIZI.

11 10 56           Les Français, un autre endroit où nous nous sommes retrouvés, c’est à Kibuye. (Kibuye est un autre endroit ou nous avons retrouvé les Français) 11 11 04

Sur la colline de Bisesero, il y avait beaucoup de Tutsi. Il y avait eu beaucoup d’attaques depuis le 15 avril. Ils ont été souvent attaqués, mais ils avaient réussi à se défendre tant bien que mal. Mais quand les Français sont arrivés, ils ont recommencé leur ruse : ils ont appelé les Tutsi qui étaient cachés en leur promettant protection. Une fois que les Tutsi étaient réunis, ils ont immédiatement donné l’ordre et on a tué tous les survivants. 11 11 37

11 11 44           Moi, je suis allé vers Kibuye dans le cadre des renforts que nous apportions : des fusils, des grenades et des Interahamwe armés de gourdins et autres. On est allé jusqu'à Bisesero, là nous avons été accueillis par Obed RUZINDANA et Clément KAYISHEMA, les responsables de la région venus de Kibuye pour nous accueillir. 11 12 05

11 12 08           Au mois de juin à l'arrivée des Français, Il y avait déjà eu l'attaque du 15 avril et il y a eu la deuxième a leur arrivée parce qu'ils ont réalisé que les Tutsi étaient encore nombreux, ils n’étaient pas morts. Ils n'ont pas voulu qu'on y aille immédiatement.

C’est les Français qui nous ont précédés, ils étaient passés par le Nord vers KIBILIRA et sont arrivés par le lac. Ils nous ont envoyé un message comme quoi les Tutsi étaient fort nombreux dans le coin. C'est les Français qui assuraient la communication.

11 12 43 Nous avons été appelés car il y avait de nombreux Tutsi. C’est les Français qui étaient arrivés là en premier qui ont demandé des renforts. Nous sommes arrivés après les Français, ils avaient fait le regroupement des gens, et ils ont discuté avec nos responsables. Et quant ils ont eu fini de discuter, ils sont repartis tranquillement, laissant le champ libre. Ils étaient là, je me souviens d'un hélicoptère muni d'une mitrailleuse. Ils ont laissé le champ libre aux tueurs et sont repartis. L'hélicoptère est parti et c'est RUZINDANA qui a donné l'ordre d'en finir, nous avions tout ce qu'il fallait pour le faire. C'est YUSUFU qui a mis ses gars de Bisesero pour terminer le travail et voilà. C’était là dans Bisesero.

11 13 31           C’est à YUSUFU qu’ils envoyaient les messages. Il est de ma famille, ma famille proche, c'est mon oncle paternel et mon parrain.

Nous nous rendions par-là à l’appel des Français. C’est eux qui avaient les infos sur les survivants et tout le reste.

11 14 10 Des Tutsi blessés ? j'en doute, il n'y avait que des morts, à moins que ce ne soit après, la situation était tragique, car c'était au moins la sixième attaque. Il y avait eu les attaques d’avril puis celles de juin avec le retour des Français, 11 14 35 toutes les communes des alentours étaient là, 11 14 47 nous étions plus de dix mille,

11 14 53           Sur la plus haute colline il y avait une grosse malle, moi je sais lire et écrire et sur cette grosse malle c'était écrit "made in France". Cette malle avait été amenée immédiatement par hélicoptère . Il y avait dedans des roquettes que l'on tirait sur les collines et qui brûlaient les gens .11 15 12 les Français les ont données aux Interahamwe 11 15 16 ils tiraient sur la plus haute colline de Bisesero, Vous pouvez y aller voir, c'est les Français qui ont amené ça là 11 15 25 oui (ye) les roquettes, c'est les Français qui les ont amenés là. 11 15 33 Cet hélicoptère tournoyait dans le ciel. […]

11 17 38           Au moment de fuir au Zaïre, c’est les Français qui ont demandé aux gens de fuir. Ils ont occupé les postes frontières et ont demandé à la population de fuir comme quoi les Inyenzi allaient tous les tuer.

00 18 02           Non, ils n’ont rien fait pour protéger le pays. Je dirais même qu’ils sont venus prêter main forte à cette catastrophe, c’est eux qui nous aidaient ou nous motivaient à détruire les bâtiments publics, les usines etc.

11 18 25           Les Français venaient pour accomplir ce qui avait été prévu en accord avec Habyarimana, même si celui-ci était mort.

11 18 45           Ils n’ont porté aucune assistance aux victimes. Si c’est ce qu’ils prétendent, qu’ils nous montrent alors un seul tueur qui ait été arrêté par eux. Ils ont peut être tué un a cinq Interahamwe. Si c'était ça l'objectif, pourquoi n’ont-ils pas tué MUNYAKAZI par exemple, lui qui commandait un bataillon entier de tueurs ? Cette question simple exige une réponse de leur part, interrogez-les pour nous.*  YUSUFU qui nous commandait, pourquoi ne l'ont ils pas arrêté ?