Commission d'Enquête Citoyenne
pour la vérité sur l'implication française dans le génocide des Tutsi au Rwanda
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Le Figaro 23 mars 2004
International

Le président Paul Kagamé, mis en cause par le juge Bruguière, accuse la France
Rwanda : la polémique relancée sur le massacre des Tutsis en 1994

 

A l'approche de l'anniversaire du génocide rwandais, la nécessaire exploration des arcanes du cauchemar ravive les polémiques. Trois affaires reliées les unes aux autres par un enchevêtrement de fils remontent à la surface. Elles portent dans l'ordre d'entrée en scène médiatique : sur la responsabilité du général Kagamé dans l'attentat contre l'avion présidentiel rwandais le 6 avril 1994, sur la faillite des Nations unies durant et après la tragédie et sur le soutien de la France au camp des auteurs du génocide.

Le juge Bruguière a ouvert le feu en accusant, sur la base d'un rapport de la police antiterroriste française, l'actuel chef de l'Etat rwandais, Paul Kagamé, d'avoir fait tirer deux missiles sur le Falcon 50 du président Juvénal Habyarimana, un acte déclencheur des massacres. Il s'appuie sur le témoignage d'un dissident du Front patriotique rwandais (FPR), le mouvement de rébellion tutsi, et sur le parcours des missiles tirés sur l'appareil. Les engins seraient passés de l'Union soviétique au FPR via l'Ouganda. Paul Kagamé riposte en accusant la France d'être «directement» impliquée dans l'une des plus importantes tragédies du XXe siècle.

Les Français «ont fourni des armes, ils ont donné des ordres et des instructions aux génocidaires», affirme-t-il. Et de préciser sur les antennes de Radio France Internationale (RFI) : «Les Français étaient là au moment où le génocide a eu lieu ; ils ont entraîné les génocidaires, ils étaient à des postes de commandement au niveau des forces armées qui ont commis le génocide. Ils ont aussi directement participé aux opérations en filtrant les barrages routiers pour identifier les gens sur une base ethnique, en punissant les Tutsis et en favorisant les Hutus

Mis en cause, Paris ne souhaite pas réagir.

La France était alliée du régime du président Habyarimana lorsque celui-ci menait la guerre contre la rébellion tutsie du Front patriotique rwandais (FPR) (1990-1994). Elle a non seulement armé mais encadré les troupes alors que se mettaient en place les mécanismes du génocide. Les forces françaises ont quitté Kigali en décembre 1993 lorsqu'un contingent de Casques bleus des Nations unies dirigés par le général canadien Roméo Dallaire a débarqué au Rwanda pour une mission de «paix». Avant leur départ, elles étaient présentes sur des barrages où elles vérifiaient l'ethnie des voyageurs. Quelques dizaines de coopérants sont restés sur place. Ils ont quitté le pays au début du génocide lorsque la France a évacué ses ressortissants quelques jours après le début de la crise.

Paris avait ensuite envoyé en juin 2 500 soldats à la frontière rwando-zaïroise, en «mission militaro-humanitaire». L'opération «Turquoise», menée sous l'égide de l'ONU, avait joué un rôle très controversé. Elle a en effet permis le départ sans encombre du Rwanda des responsables des massacres après la prise de Kigali par le FPR.

En 1998, à la suite de révélations de la presse et notamment du Figaro, une commission d'enquête parlementaire avait conclu à des erreurs d'évaluation. Le mea culpa de l'assemblée est aujourd'hui jugé insuffisant par les partisans d'un véritable examen de conscience. «Nous espérions que la France ferait la lumière sur ses errements. Mais, chaque fois que des questions touchant à une complicité directe était abordée par la commission, nous observions un blocage. Une minorité de députés voulait la vérité», estime François Verschave, président de Survie et auteur du livre Noir Silence.

Fondée par un cartel d'ONG, une «commission d'enquête citoyenne» a décidé de rouvrir le dossier cette semaine à Paris. Elle a prévu de mesurer l'engagement militaire, financier et diplomatique de la France. «Il y a des faits connus portant sur la proximité de militaires français avec la garde présidentielle et des unités d'élite, des documents prouvant des transferts de fonds durant l'embargo. Des témoignages inédits devraient être présentés. Ils portent des accusations d'une terrible gravité», prévient François Verschave.

De leur côté, les Nations unies ne sont plus seulement accusées de non-assistance à population en danger, mais de coupables négligences. Durant les terribles semaines, les grandes puissances n'ont rien fait pour stopper des massacres dont elles étaient informées heure par heure, jour par jour, semaine après semaine. Puis, lorsque les tueurs ont cessé leur sinistre besogne, elles ont jeté un voile pudique sur les événements. Il aura ainsi fallu presque dix ans pour que la boîte noire de l'avion présidentiel rwandais abattu en avril 1994 réapparaisse. Visiblement embarrassée, l'ONU a révélé jeudi qu'elle détenait une boîte noire qui pourrait être celle du Falcon 50 deux jours après avoir été mise en cause dans Le Monde. Actuellement en cours d'expertise, elle ne devrait pas révéler d'extraordinaires secrets.

«Elle ne dira pas si Paul Kagamé a abattu l'avion ou si c'est quelqu'un d'autre. On aura seulement les paramètres de l'avion, sa vitesse, son altitude et les discussions des pilotes», commente Gérard Prunier, un spécialiste du Rwanda.

Thierry Oberlé