Commission d'Enquête Citoyenne
pour la vérité sur l'implication française dans le génocide des Tutsi au Rwanda
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Journal l'Humanité
Rubrique International
Article paru dans l'édition du 1er avril 2004.

Rwanda
L'épouvantable responsabilité de la diplomatie française


Une commission d'enquête citoyenne relève les éléments établissant la complicité de Paris avec le gouvernement génocidaire.

En décembre 1998, la mission d'information parlementaire sur le Rwanda publiait un rapport contrasté sur l'implication des autorités françaises dans le génocide qui causa environ 800 000 victimes, très majoritairement tutsi, en 1994. " La France n'est nullement impliquée dans ce déchaînement de violence ", constataient les rapporteurs. Mais au 20 juin 1994, alors que le génocide était aux trois quarts consommé, Paris admettait encore " la légitimité du gouvernement intérimaire [rwandais] " (1). Pour un collectif d'universitaires et de responsables d'ONG rassemblé la semaine dernière à Paris en " commission d'enquête citoyenne " (CEC) (2), cette ambiguïté française vis-à-vis du gouvernement génocidaire porte un nom : complicité. À l'aide notamment de témoignages, ainsi que de documents rendus publics depuis 1999 û ouvrages de l'historienne Alison des Forges, de l'ancien chef canadien des forces des Nations unies au Rwanda, Roméo Dallaire, et du journaliste Patrick de Saint-Exupéry û, la CEC a mis en valeur le soutien multiforme que la France aurait apporté au gouvernement hutu : un soutien à la fois militaire, idéologique, diplomatique et financier.

Au moment où le génocide commence, le 6 avril 1994 quelques heures après que l'avion du président hutu, Juvénal Habyarimana a été abattu dans le ciel de Kigali, la France est militairement présente depuis trois ans et demi au Rwanda (opération " noroît "). Sa mission : aider Habyarimana à repousser les rebelles du Front patriotique du Rwanda (FPR), majoritairement tutsi et réputés " pro anglo-saxons ", opérant depuis l'Ouganda. Ce que montre la CEC, c'est qu'entre Paris et Kigali, la coopération se poursuit activement après le début des massacres.

Des faits accablants pour la France

Sur le plan diplomatique, Colette Braeckmann, journaliste au Soir de Bruxelles et auteur d'Histoire d'un génocide (Fayard, 1994), estime que le gouvernement intérimaire rwandais (GIR) qui va superviser les tueries a été constitué le 7 avril 1994 à l'ambassade de France, sous la houlette de l'ambassadeur Jean-Michel Marlaud. Trois semaines plus tard, en plein génocide, le ministre des Affaires étrangères du GIR et son directeur des affaires politiques sont reçus à Paris, à l'Élysée puis au Quai d'Orsay.

Sur le plan financier, la CEC conclut que la Banque nationale du Rwanda a pu tirer plus de 30 millions de francs sur la Banque de France et à la BNP Paris entre le 14 juin et le 1er août, alors que le génocide est déjà largement accompli et que les forces armées rwandaises (FAR) sont sur le point de capituler le 17 juillet. Les autorités financières à Paris ont laissé les organisateurs du génocide s'enfuir avec un " véritable trésor de guerre ".

Mais c'est sur le plan militaire que le soutien apporté par la France aux génocidaires est le plus manifeste. Comme le souligne Éric Gillet, avocat des parties civiles dans le procès intenté à quatre génocidaires rwandais devant la cour d'assises de Bruxelles en 2001, " le point juridique où se noue la complicité, c'est la non-intervention militaire au moment où les massacres commencent ". Dès la mi-avril, la plupart des journalistes présents au Rwanda (dont l'envoyé spécial de l'Humanité, Jean Chatain) parlent déjà de génocide. L'armée française, encore officieusement présente sur place malgré les accords de paix d'Arusha (août 1993), largement dominante et tenue, dès lors, d'intervenir pour stopper les tueries (article 2 de la Convention de Genève de 1948 sur le génocide), ne bouge pas. Et pour cause : elle n'en a pas reçu l'instruction politique. Un mois plus tard, le 9 mai, le lieutenant-colonel Ephrem Rwabalinda est accueilli à Paris par le général Jean-Pierre Huchon, chef de la mission militaire de la coopération. Ensemble, ils évoquent la nécessité de " fournir toutes les preuves prouvant la légitimité de la guerre que mène le Rwanda " (compte rendu de mission recueilli en 1994 à Kigali par Colette Braeckman). Quant aux ventes d'armes (fusils, grenades, machettes) aux FAR, estime Alison Des Forges, elles se poursuivent au moins jusqu'à la fin du mois de mai, c'est-à-dire après l'embargo voté par le Conseil de sécurité le 17 mai. Des livraisons sont assurées à l'aéroport de Goma (ex-Zaïre), contrôlé cet été 1994 par l'armée française û une des nombreuses ambiguïtés de l'opération " turquoise ".

S'il se limitait aux événements du printemps et de l'été 1994, ce constat pourrait être celui d'une erreur d'appréciation, grossière et dramatique, des autorités françaises. Mais le soutien de la France au régime Habyarimana est constant depuis le début de l'opération " noroît " en octobre 1990, et il est piloté par l'Élysée. À partir de cette date, le président François Mitterrand, entouré d'un cercle restreint de hauts gradés, envoie pour contrer le FPR des militaires issus des troupes d'élites (GIGN, RIMA...)

Une diplomatie souvent mal informée

Formés aux méthodes fortes et à l'efficacité, largement autonomes sur le terrain, ces commandos étaient un outil idéal au service d'un régime totalitaire, explique Patrick de Saint-Exupéry dans l'Inavouable (voir page suivante). Créé en 1992, le commandement des opérations spéciales (COS) chapeaute ces troupes et ne rend des comptes qu'au chef d'état-major des armées, court-circuitant la hiérarchie et échappant à tout contrôle parlementaire. Une diplomatie pas toujours au fait de ces errements militaires, mais soucieuse avant tout de cohérence politique, a alors suivi une seconde ligne de conduite parallèle à la première. Ensemble, dans la première moitié des années quatre-vingt-dix du côté de Kigali, elles ont mené la France à poursuivre l'une de ses erreurs les plus épouvantables.

Benjamin Bibas

(1) Enquête sur la tragédie rwandaise (1990-1994), Assemblée nationale (voir aussi www.assemblee-nat.fr/dossiers/rwanda.asp).

(2) La CEC regroupait entre autres François-Xavier Verschave, président de Survie, Catherine Coquio, présidente de l'Association internationale de recherche sur les crimes contre l'humanité et les génocides, Patrice Bouveret, responsable de l'Observatoire des transferts d'armements.




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