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Journal l'Humanité
Rubrique International
Article paru dans l'édition du 27 mars 2004.

 

Rwanda. Une polémique dans le but de détourner l'attention


Les motifs des accusations contre le Front patriotique rwandais à propos de l'attentat contre Habyarimana ne sont pas clairs. Soucis de vérité ou " raison d'État " ?

Et si l'arbre cachait la forêt ? Le journal le Monde du 10 mars a révélé les résultats d'une enquête menée par le juge antiterroriste Bruguière. Celle-ci conclut à la responsabilité du Front patriotique rwandais (FPR) et met en cause l'actuel homme fort du Rwanda, Paul Kagamé, qui aurait ordonné l'attentat du 6 avril 1994 contre l'avion du président rwandais de l'époque, le général Habyarimana. L'enquête du juge parisien revient donc sur une piste, qui n'est pas nouvelle (1), mais se fonde cette fois sur des témoignages de dissidents du FPR qui auraient été chargés d'abattre l'avion présidentiel. Avant Bruguière, ni l'ONU, ni le FPR, ni personne n'a jamais enquêté sur l'attentat qui a été le détonateur d'un génocide. La France ne s'est pas montrée très curieuse non plus, alors que des sources concordantes indiquent que ses militaires ont eu accès le jour même au site du crash, pourtant interdit aux Casques bleus.

Que penser alors de cet acte d'accusation dirigé contre le FPR, moins d'un mois avant la commémoration du 10e anniversaire d'un génocide dans lequel la France s'est compromise ? Le moins qu'on puisse dire c'est qu'il émane d'un juge qui ne semble pas étranger aux intérêts de la diplomatie française : en témoigne l'arrestation spectaculaire mais bâclée des Moudjahidin du peuple en juin 2003, accusés de terrorisme mais tous relâchés quelques semaines plus tard.

Surtout, chercher à connaître l'identité des responsables de l'attentat du 6 avril 1994 ne doit pas faire oublier que " si le président Habyarimana n'avait pas été tué, il y aurait quand même eu de gigantesques massacres ", comme l'a rappelé en 1998 devant la mission parlementaire française, Michel Cuingnet, responsable de la mission de coopération civile au Rwanda d'octobre 1992 à septembre 1994. Le génocide rwandais n'a été ni une irruption de colère populaire, ni un affrontement interethnique, comme on l'a souvent présenté à l'époque. Il a été soigneusement planifié avec une implication totale de l'appareil d'État de l'ancien régime rwandais allié de Paris, et le concours d'organes de presse comme la radio et télévision libre des milles collines (RTML) ou le journal Kangura qui ont préparé la population au meurtre de masse en répandant une propagande " anti-Tutsi " dès le début des années quatre-vingt-dix, au moment où le FPR û composé de descendants des Tutsi réfugiés en Ouganda pour fuir les massacres après 1 959 - lance sa première offensive. Le recrutement de militaires, la formation accélérée de miliciens, la constitution des listes des " ennemis de l'intérieur " en 1992 achèvent la mise en place d'une " machine à tuer ", qui se rôde courant 1993.

À ce moment le MRND d'Habyarimana et le FPR signent un accord de paix à Arusha. Mais, " dans chacune des 146 communes du Rwanda, deux cents à trois cents hommes en armes sont prêts à entrer en action, un pour dix familles environ. Ils connaissent la tâche qui les attend : ils doivent systématiquement éliminer l'ennemi intérieur ", rappelle Colette Braeckman (2). Dessein qu'ils accomplissent d'avril à juillet 1994, encadrés par les préfets, les militaires, parfois les religieux. Même la fuite des civils hutu au Zaïre au mois de juillet 1994 ressemble à un plan concerté pour que les troupes victorieuses du FPR avancent dans un Rwanda désert. Le général Roméo Dallaire, qui dirigeait à l'époque la mission de l'ONU au Rwanda le constate : " Tuer un million de gens et être capable d'en déplacer trois à quatre millions en l'espace de trois mois et demi (...). Il fallait qu'il y ait une méthodologie. "

Camille Bauer et Emmanuel Chicon

(1) Elle avait déjà été évoquée par les enquêtes parlementaires belge et française de 1997 et 1998, mais abandonnée pour des raisons techniques.

(2) Dans Rwanda, histoire d'un génocide (Fayard, 1994).



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