Commission
d'Enquête Citoyenne
pour la vérité sur l'implication française dans
le génocide des Tutsi au Rwanda
INFOS: http://cec.rwanda.free.fr/
Journal l'Humanité
Rubrique International
Article paru dans l'édition du 27 mars 2004.
Rwanda
Le soutien de Paris jusqu'au bout
Une Commission d'enquête citoyenne s'est penchée sur le rôle
du sommet de l'État français dans le génocide rwandais
de 1994. Accablant.
" Nous ne sommes pas un tribunal, mais les faits que nous récolterons pourraient conduire à une procédure pénale ", a expliqué Gérard de La Pradelle, professeur de droit, en guise d'introduction aux travaux de la commission d'enquête citoyenne. Pendant une semaine, à l'initiative des associations Survie, Aircrige, La Cimade et de l'Observatoire des transferts d'armement, une commission de dix membres a interrogé témoins et documents pour tenter d'établir les responsabilités de la France dans le génocide rwandais qui a fait entre huit cent mille et un million de morts. Un travail difficile tant tout semble avoir été fait pour maintenir le secret sur cette question.
Miliciens
Dans l'attente des conclusions de la commission d'enquête, qui seront rendues ce samedi lors d'une réunion à l'Assemblée nationale, quelques points semblent déjà se dégager. À partir de 1990, la France a massivement fourni des armes et entraîné l'armée rwandaise. Celle-ci était alors en pleine expansion et recrutait des miliciens formés à la va-vite. Sans trancher sur la question de savoir si les Français ont été directement les instructeurs de ces miliciens, la Commission d'enquête citoyenne note que des unités qui ont bénéficié de ces formations, comme la garde présidentielle, ont activement participé au génocide. Par ailleurs, elle souligne que les militaires français participaient aux contrôles aux barrages qui se faisaient à partir de la mention ethnique sur les cartes d'identités, ce que confirment des témoins interrogés par l'Agence France-Presse le 16 mars dernier.
Transmis à l'Elysée
Cet engagement de la France est d'autant plus sujet à caution que de nombreux signes avant-coureurs des carnages qui allaient être programmés par le régime Habyarimana étaient connus des autorités. En 1992, des massacres ont lieu durant lesquels plusieurs milliers de personnes trouveront la mort. Puis, en 1993, trois rapports mentionnant les prémices d'un génocide, dont un de l'ONU, sont transmis à l'Élysée dont le locataire de l'époque est François Mitterrand. Non seulement il les ignore mais le général Habyarimana est invité en France en grande pompe à l'automne 1993.
Par ailleurs, la commission d'enquête citoyenne revient sur les nombreux indices qui permettent de conclure que les livraisons d'armes ne se sont jamais arrêtées. Ainsi, un courrier du lieutenant-colonel Cyprien Kayumba, l'acheteur d'armes du régime génocidaire, indique que la dernière livraison s'est effectuée le 12 juillet 1994, soit quatre mois après le début du génocide. Ces livraisons s'appuyaient sur un réseau de marchand d'armes proches de la France comme Dominique Lemonier et sa société DYL Invest. Son principal contact, Kayumba aurait eu, selon le journaliste Patrick de Saint-Exupéry, et l'organisation Human Rights Watch (1), de nombreux contacts durant le génocide avec le général Huchon, alors à l'état-major du président Mitterrand.
Responsabilité
Kayumba n'est pas le seul à visiter Paris alors que les massacres battent leur plein à Kigali. Le général Huchon aurait aussi reçu le 9 mai 1994 le lieutenant-colonel Rwabalinda, conseiller en chef de l'état-major de l'armée rwandaise. Pendant ce temps à Goma, base de l'armée française pour l'opération " humanitaire " Turquoise, le général canadien Roméo Dallaire qui dirige la mission de l'ONU au Rwanda rencontre les dirigeants de l'état-major rwandais par l'entremise de hauts gradés français (2).
Déjà accablants, tous ces éléments étaient en partie connus et ne constituent qu'une infime partie du travail de la commission d'enquête citoyenne. Au fur et à mesure de ses recherches, celle-ci ébauche des pistes de recherches qui pourraient conduire à établir une responsabilité encore plus directe des autorités françaises dans le dernier génocide du XXe siècle.
Camille Bauer
(1) Voir le livre très documenté de Patrick de Saint-Exupéry, L'inavouable, la France au Rwanda (éditions les Arènes) et le rapport de Human Rights Watch, Rwanda-Zaïre, réarmement dans l'impunité.
(2) Roméo Dallaire, J'ai serré la main du diable, aux éditions Libre Expression.
Page imprimée sur http://www.humanite.fr
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