Commission d'Enquête Citoyenne
pour la vérité sur l'implication française dans le génocide des Tutsi au Rwanda
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Libération jeudi 08 avril 2004
Par Francesco FONTEMAGGI

Incident diplomatique à la commémoration des dix ans du génocide au Rwanda.
Kagame accuse la France en la "regardant dans les yeux"

 

Une femme lance un cri. Elle se lève, dévale les gradins du stade de Kigali, renverse les chaises en plastique qui se trouvent sur son chemin. "Ils sont tous morts, ils les ont tous tués !", hurle-t-elle d'une voix stridente qui glace le reste des participants à la cérémonie du dixième anniversaire du génocide. Ses pleurs, ses sanglots se répercutent aussitôt parmi les milliers de rescapés venus, sous un soleil de plomb, commémorer leurs morts. La même scène se répète aux quatre coins du stade et, à chaque fois, des hommes doivent maîtriser les personnes frappées par ces crises de détresse, voire les évacuer. C'est que, face à la tribune présidentielle où sont assis le président rwandais, Paul Kagame, et ses hôtes étrangers, d'autres survivants des massacres racontent leur histoire, récitent des poèmes. "Les tueurs étaient nos voisins, avec qui nous partagions la bière et le lait, rappelle un poète, sur un ton vibrant et chantant. Nous pouvons être rwandais ensemble, à nouveau."
Ces rescapés ont tous en commun le génocide. En à peine cent jours, d'avril à juillet 1994, leurs voisins hutus ont massacré, à coups de machette, de gourdin ou de fusil, quelque 800 000 personnes, des Tutsis pour l'immense majorité, mais aussi d'autres Hutus opposés au régime extrémiste qui a planifié et mis à exécution cette extermination méthodique. Un génocide, le quatrième du XXe siècle et le premier du continent africain, qui s'est déroulé sous les yeux impassibles de la communauté internationale.

Reproches. Passé l'émotion, passé le temps des rescapés dans la matinée, plus d'une vingtaine de cercueils avec les restes de dizaines de victimes avaient été inhumés dans le nouveau mémorial de Kigali, inauguré à cette occasion , vient le temps des reproches. Envers la communauté internationale en général d'abord. Paul Kagame rappelle dans son discours que certains pays "n'ont pas agi" pour faire cesser les massacres, "mais ils ont demandé pardon, et nous le leur avons accordé". Le Premier ministre belge, Guy Verhofstadt, seul haut dirigeant occidental à avoir fait le déplacement, applaudit ; peu auparavant, il avait rappelé son mea-culpa prononcé il y a quatre ans, jour pour jour, ici même. "Tous, nous portons une part de responsabilité, tous", a martelé Verhofstadt, comme pour inviter les autres puissances occidentales à imiter son pays.

Kagame, lui, n'y va pas par quatre chemins. "Il y a aussi un autre pays, et je n'hésiterai pas à le nommer, annonce-t-il, sous les applaudissements du public rwandais. Je veux parler des Français." Et de réitérer les accusations qu'il assène, depuis un mois, contre Paris : le gouvernement français a, selon lui, "armé et entraîné sciemment les soldats gouvernementaux et les milices qui allaient commettre un génocide, alors même qu'il savait qu'ils préparaient ce génocide".

Visite écourtée. Mais, cette fois, le président rwandais va plus loin. Il accuse, alors que les caméras du monde entier sont tournées vers Kigali, et en présence du secrétaire d'Etat français aux Affaires étrangères, Renaud Muselier. "Je le leur dis en les regardant dans les yeux", lance-t-il en se tournant vers ses hôtes, parmi lesquels est assis un Muselier impassible (dans l'après-midi, il a finalement décidé d'écourter sa visite pour "tirer les conséquences" de l'accueil qui lui avait été réservé). "C'est criminel, et ils ont l'audace de rester là sans s'excuser", dénonce encore Kagame, qui a encore le temps d'assurer que "leurs menaces et leurs efforts pour nous intimider ne m'impressionnent pas".

Manoeuvre. Une référence à peine voilée à la publication, dans le Monde du 10 mars, d'un rapport du juge antiterroriste français Jean-Louis Bruguière accusant Kagame en personne d'être à l'origine de l'attentat contre l'avion du président hutu Juvénal Habyarimana, le 6 avril 1994. Le génocide avait démarré dans la foulée. Kigali n'a cessé de clamer que ces "fuites" étaient une manoeuvre de Paris pour brouiller l'image du gouvernement rwandais à un mois de la commémoration.

Francesco FONTEMAGGI