Commission d'Enquête Citoyenne
pour la vérité sur l'implication française dans le génocide des Tutsi au Rwanda
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Charlie Hebdo N° 616, Mercredi 7 avril 2004
Marianne Dautrey

La France commémore le massacre

Il est d'étranges coïncidences. Depuis le 9 mars, Le Monde fait paraître une série d'articles sur le Rwanda. Ces articles, signés par Stephen Smith, font état des résultats de l'enquête menée par le juge Bruguière sur l'attentat contre l'ancien président du Rwanda, dont la mort déclencha le génocide. Le rapport censé n'être pas officiel à ce jour puisqu'il n'est pas encore transmis au parquet de Paris (pour ne pas troubler la commémoration du génocide), est, pourtant, d'ores et déjà communiqué dans Le Monde. Il comporte des révélations fracassantes : l'actuel président du Rwanda et ancien chef des forces armées tutsies de l'extérieur, qui a mis fin au génocide, serait l'instigateur de l'attentat contre le président Habyarimana. Et, du même coup, il serait l'ultime responsable du génocide rwandais.

Le Monde, en publiant ces révélations, se fait, par le truchement de la plume virulente de Stephen Smith, accusateur public. De sorte que, sans qu'il n'y ait eu aucune déclaration officielle, tout au plus quelques vagues propos moralisants et lénifiants de Dominique de Villepin dans Libération, Paul Kagame a tenu à répondre à ses accusations : il a menacé de révéler, à son tour, quels furent les agissements de la France avant, pendant et après le génocide.

Le 25 mars, deux semaines après le premier article de Stephen Smith, paraît L'Inavouable. La France au Rwanda (1) de Patrick de Saint Exupery. Le livre non seulement invalide les faits exposés dans Le Monde, mais constitue, lui aussi, un acte d'accusations ravageur : il révèle que, dès 1990, c'est à dire au moment des premières échauffourées annonciatrices du génocide, l'Etat français se serait secrètement engagé militairement et diplomatiquement aux côtés du gouvernement rwandais de l'époque. Autrement dit : La France aurait activement participé à la préparation du génocide. Ces thèses concordent, par ailleurs, avec celles d'un regroupement d'associations qui se sont constituées en " Commission d'Enquête Citoyenne " et qui ont, elles aussi, publié leurs résultats ces derniers jours.

La concomitance de ces accusations est suspecte. Soit, Le Monde, connaissant la parution du livre de Saint Exupery, a tenté d'en prévenir les effets dévastateurs, soit c'est un pur hasard. Un élément parlerait, cependant, en faveur de la première hypothèse : Patrick de Saint Exupéry dénonce violemment la thèse du double génocide (au génocide hutu, les Tutsi auraient répondu par un autre génocide), qui fut avancée par la diplomatie française en 1994 pour justifier du fait que, au cours de l'opération Turquoise, les militaires français ont principalement privilégié la protection des Hutus à celle des Tutsis. Or cette thèse du double génocide avait été relayée, à l'époque, par Stephen Smith lui-même, alors reporter à Libération.

La mystérieuse boîte noire retrouvée à l'ONU tranchera peut être. Bien qu'elle semble désespérément s'obstiner à rester silencieuse.

Marianne Dautrey

(1) : Patrick de Saint Exupery, L'inavouble. La France au Rwanda, Ed. Les Arènes, 2004.