Commission d'Enquête Citoyenne
pour la vérité sur l'implication française dans le génocide des Tutsi au Rwanda
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Quatrième journée

La presse entre meilleur et pire, la propagande ethniste, des témoignages insoutenables

La Commission d'enquête citoyenne (CEC) a examiné ce jeudi l'attitude de la presse française durant le génocide, les influences qu'elle a subies ou contre lesquelles elle a résisté. Annie Faure, médecin au Rwanda en 1994, et Yves Ternon, historien, ont scruté durant cette période l'intégrale des articles du Figaro, du Monde, de La Croix, la plupart des articles de Libération, de larges extraits de L'Humanité. Ils ont aussi effectué des sondages plus ou moins importants dans les autres quotidiens et un certain nombre d'hebdomadaires. Ils ont constaté que la plupart des envoyés spéciaux, saisis par la dimension des massacres, ont après un délai d'adaptation plus ou moins bref tenu à informer librement de ce qu'ils voyaient et entendaient, faisant preuve de courage et de lucidité. Mais assez souvent, la qualité de leurs articles s'est trouvée en porte-à-faux avec les éditoriaux, les encarts, le titrage. Les principaux quotidiens n'ont pas échappé, même pendant l'opération Turquoise, à la contagion du discours ethniste - souvent dans sa version la plus absurde, nilotique et hamite -, alors que, dans les mêmes colonnes, une explication scientifique de la fabrication de l'ethnisme avait parfois été donnée par l'un ou l'autre spécialiste.

S'agissant de l'emploi décisif du mot " génocide ", il y a un grand écart entre son apparition le 11 avril dans Libération (quatre jours seulement après le début des massacres) et le 8 juin seulement dans Le Monde (où, selon un témoignage, le terme était auparavant censuré). La Commission a salué le travail du premier de ces deux quotidiens, mais aussi de L'Humanité et du Nouvel Observateur. Avec l'historien Jean-Pierre Chrétien, la CEC a repéré le développement, dès 1993 et jusque après le génocide, des thèmes de propagande distillés par les Services français. Il s'agissait notamment de diaboliser le FPR, ennemi de la France puis du camp génocidaire : ce mouvement était qualifié de " Khmers noirs ", muni du plan de conquête d'un " empire hima-tutsi ", etc. La CEC a observé la préparation et la résurgence de la thèse du " double génocide ".

L'attitude de la presse belge a été évoquée avec Colette Braeckman, qui a aussi confirmé plusieurs points, dont la constitution à l'ambassade de France du gouvernement intérimaire qui allait superviser le génocide, et le mépris affiché par les officiers français envers leurs homologues rwandais voulant se désolidariser de l'armée génocidaire. Sur la question de l'attentat du 6 avril 1994 contre l'avion du président Habyarimana, la journaliste belge, spécialiste du sujet, n'exclut aucune hypothèse mais estime que de forts indices subsistent en faveur d'un coup d'État commandité accompli par le camp des extrémistes hutu.

Jean-Christophe Rufin, qui était conseiller du ministre de la Défense François Léotard, a apporté son témoignage sur la conception de l'opération Turquoise (à examiner vendredi). Il a insisté sur le fait que, pour une partie de l'exécutif, elle comportait une dimension réellement humanitaire, sans exclure que cette dimension ait été englobée dans d'autres objectifs dont il n'était pas informé.

En fin de journée, deux témoignages de rescapés filmés au Rwanda ont, une fois encore, porté de très graves accusations : il s'agit cette fois du camp de rescapés de Nyarushishi, où les soldats français de Turquoise se seraient rendus auteurs ou complices de viols ou de sévices sur la personne de survivants, en connivence avec des miliciens auxquels ils auraient livré régulièrement des victimes. La veille, un ancien chef milicien avait apporté un témoignage concordant. L'accumulation de témoignages reçus évoquant un partage de l'idéologie génocidaire et une complicité criminelle par certains éléments de Turquoise devient telle que la nécessité d'une enquête approfondie s'impose de plus en plus.