Commission
d'Enquête Citoyenne
pour la vérité sur l'implication française dans
le génocide des Tutsi au Rwanda
INFOS: http://cec.rwanda.free.fr/
Dernière journée : Turquoise, hiérarchie des responsabilités,
conclusions provisoires
Turquoise dans une logique de guerre, des
responsabilités qui se précisent,
de nouvelles pièces à conviction et de premières conclusions
La Commission d'enquête citoyenne (CEC) a examiné vendredi matin
l'opération Turquoise. Les documents rassemblés, les témoignages
de Colette Braeckman et Alison Des Forges, les récits des journalistes,
dont Patrick de Saint-Exupéry, et les témoignages des rescapés
dessinent de cette opération un visage aux antipodes de l'humanitaire
officiel : la logique de guerre était dominante, et quand elle a échoué,
l'armée française a favorisé, sinon coorganisé,
le repli de ses alliés génocidaires vers l'est du Zaïre sous
le couvert d'un bouclier humain, la foule conduite et installée dans
les camps du Kivu - futur vivier d'une guerre de reconquête. Seul le camp
de Kibeho, alimenté en miliciens, a été laissé tel
un abcès de fixation en territoire " ennemi ". Un médecin
militaire qui entendait exercer son métier s'est fait rabrouer par un
officier de Turquoise : " Tu n'as pas encore compris que ce que nous faisions
n'avait rien d'humanitaire ? "
De même, l'examen détaillé du " sauvetage " des
survivants de Bisesero montre que ceux-ci ont été en fait abandonnés
aux assauts des miliciens durant trois jours. Un assaut dont un certain nombre
de témoins affirment qu'il aurait été favorisé par
les manuvres de militaires français.
Examinant les responsabilités officielles dans la " mise entre parenthèses
du génocide, sa subordination à la guerre et aux schémas
ethnistes, la Commission a relevé les responsabilités officielles
et réelles du Président Mitterrand, du chef d'État-major
l'amiral Lanxade, des généraux Quesnot et Huchon. Mais elle s'est
aussi interrogée sur le rôle des généraux Jeannou
Lacaze et Jean Heinrich, anciens chefs du service Action de la DGSE : le premier
se trouvait apparemment au côté du général Huchon
à la Mission militaire de la Coopération ; le second, Directeur
du Renseignement militaire, aurait fait plus que du renseignement selon un document
inédit.
Il a aussi été question du rôle de Jean-Christophe Mitterrand.
Un témoin, le journaliste Gaëtan Sebudandi, a expliqué comment
il avait découvert des liens d'affaires du fils de François Mitterrand
avec le fils du président Habyarimana, Jean-Pierre, et l'homme d'affaires
Félicien Kabuga, qui deviendra la " trésorier " présumé
du génocide, dans une grande propriété agricole près
de la frontière ougandaise. Plusieurs autres implications ont été
évoquées, mais elles doivent, comme la précédente,
être vérifiées à partir des précisions fournies.
La Commission a achevé ses travaux avec la révélation par
le journaliste Mehdi Ba de l'existence d'une série de documents accablants.
Un seul exemple : le 1er septembre 2004, un semestre après le début
du génocide, une note interne au ministère de la Coopération
s'interrogeait sur l'éventuelle fourniture de visas à une liste
de 16 personnes, dont certains des hauts responsables du génocide, pour
" préparer l'avenir "
Un nouveau témoignage du Rwanda a été projeté d'une
rescapée du camp de Nyarushishi : elle a accusé des militaires
de l'opération Turquoise chargés de la garde du camp, de multiples
viols et d'avoir livré d'autres rescapés aux miliciens. La Commission
a entendu toute la semaine trop de témoignages accablants : la vérité
doit être faite à leur sujet.
La Commission d'enquête citoyenne a présenté à la
presse ses conclusions provisoires. Elle demande d'ores et déjà
:
- que soient examinées avec sérieux la somme d'éléments
pouvant laisser présumer l'implication active de certains Français,
responsables ou subalternes, dans le génocide des Tutsi en 1994 ; l'impunité
en ce domaine n'est pas envisageable ; si ces éléments étaient
confirmés, la saisine des instances judiciaires serait nécessaire,
qu'il s'agisse du Tribunal pénal international d'Arusha ou de la justice
française ;
- que des députés exercent aussi leur rôle constitutionnel
de contrôle de l'exécutif, sans se contenter des résultats
d'une Mission d'information parlementaire qui a esquivé les sujets les
plus sensibles ; sur le thème du rôle de la France dans le génocide
de 1994, l'information du Parlement ne peut être considérée
comme close ;
- que les partis politiques et le mouvement citoyen considèrent la dangerosité
d'évolutions organisationnelles récentes, telle la constitution
du Commandement des opérations spéciales en une sorte de "
légion présidentielle " ;
- que la France, dans ses rapports avec le peuple rwandais, se dispose à
tirer les conséquences de ceux de ses actes qui seront avérés,
parmi ceux qu'a évoqués la Commission ou qui pourraient encore
se révéler.
La Commission n'entend pas en rester là. Ses travaux seront diffusés
sous diverses formes (écrit, son, image), ils feront l'objet d'un rapport,
et pourront donner lieu à des " compléments d'information
".
La Commission d'enquête citoyenne a été organisée
par plusieurs associations (Aircrige, la Cimade, l'Observatoire des transferts
d'armements et Survie). Elle a été présidée par
le juriste Géraud de la Pradelle. Y ont également participé
l'historien Yves Ternon, Bernard Jouanneau, avocat, et Annie Faure, médecin.