REPONSE A REPORTERS
SANS FRONTIERES
Par BIZIMANA Jean Damascène
Docteur en
doit
En date du 4 novembre 2005, l’organisation française
REPORTERS SANS FRONTIERES (RSF) sortait un rapport intitulé «Rwanda.
Enquête sur l’arrestation de Guy Theunis : les accusations,
la procédure, les hypothèses[1]». Ce rapport
très unilatéral, partisan et tendancieux du début
à la fin se cantonne sur deux préoccupations majeures
: confirmer la prétendue innocence de Guy Theunis conformément
au premier Communiqué que cette organisation avait rendu public
lors de son arrestation ; attaquer et diaboliser un groupe de quatre
témoins à charge dans ce dossier : Antoine MUGESERA, Marie-Immaculée
INGABIRE, Tom NDAHIRO et Jean Damascène BIZIMANA.
En clair, RSF n’a pas mené une enquête sérieuse,
il a fait de la désinformation au cours de laquelle un réquisitoire
erroné a été formulé contre les témoins
à charge. Ce rapport à l’instar des Communiqués
qui l’ont précédés, est caractérisé
par une disproportion choquante entre l’abondance des arguments
sur « l’innocence » de Guy Theunis et la maigreur de
la réflexion sur les preuves fournies par les témoins connaissant
bien Guy Theunis et/ou ses actions.
Ma première réaction en lisant cet extravagant rapport était
de ne pas faire le jeu de la provocation dans lequel a voulu nous emballer
RSF. J’ai d’abord pensé qu’il valait mieux me
taire face à ce bourrage de contre-vérités. Toutefois,
j’estime que la gravité de mensonges, d’affirmations
gratuites contenues dans ce rapport est tellement outrancière qu’il
serait lâche de ne pas y répondre. Faisant partie des témoins
excessivement salis par RSF, j’aimerais apporter d’une part
un démenti sur des actes et des propos qui m’ont été
attribués; puis d’autre part dire la vérité
sur certaines allégations extrêmement mensongères
avancées par RSF dans son tendancieux rapport de défense
de « l’innocent » Theunis.
Lorsqu’on est en face d’un monstrueux génocide, qu’on
commente l’interpellation des génocidaires et des idéologues
d’une mentalité génocidaire, il s’agit d’une
situation tellement grave qui incite à ne pas accepter la calomnie,
la diffamation et la sacralisation des mensonges sur l’innommable.
Consciemment, il se développe aujourd’hui, notamment en France
et en Belgique, en lieu et place de la justice et de la vérité
sur le génocide des Tutsi, un bréviaire de la haine et du
négationnisme qui devient de plus en plus affligeant et intolérable
pour les victimes. La défense aveuglée de Guy Theunis dans
laquelle s’est engagée RSF, accompagnée d’un
insolent mépris des témoins à charge, fait partie
de cette effroyable manœuvre. Une mise au point s’impose, si
modeste soit-elle.
1. Au commencement était la partialité de Reporters
Sans Frontières
Dès l’annonce de l’arrestation de Guy Theunis,
RSF a publié, avec une extrême dose de mépris et de
cynisme, un communiqué le 11 septembre 2005, qui ne cache pas un
parti-pris irréfléchi de cette organisation. Voici ce qu’on
lit dans ce Communiqué : « Reporters Sans Frontières
apprend avec consternation la décision prise ce jour par une gacaca
(tribunal populaire) de Kigali de placer le père Guy Theunis, ancien
rédacteur en chef de la revue Dialogue, en catégorie 1,
soit parmi les planificateurs, les organisateurs, les incitateurs, les
superviseurs et les encadreurs du crime de génocide. Le père
Theunis a toujours défendu des idées de tolérance
et de respect d’autrui. Il a passé sa vie à combattre
le racisme et la haine ethnique et, aujourd’hui, il se retrouve
accusé d’incitation au divisionnisme ! Nous sommes scandalisés
par le comportement du gouvernement rwandais. Nous ne sommes pas dupes.
Il y a très certainement un règlement de comptes politique
derrière cette affaire. Les autorités rwandaises lui ont
attribué un visa pour mieux le piéger ensuite.
Nous sommes également étonnés de la rapidité
inhabituelle de la procédure et de la nature des témoins
à charge lors de l’audience, la plupart membres du parti
au pouvoir. Dans la revue Dialogue qu’il anime, le père Theunis
permettait à tous ceux qui prônaient la réconciliation
de s’exprimer, y compris à des opposants du président
Paul Kagame. Nous ne comprenons pas non plus pourquoi cette arrestation
survient aujourd’hui. Le père Theunis s’est rendu à
plusieurs reprises au Rwanda, depuis 1994, chaque fois avec un visa délivré
par les autorités. Guy Theunis est accusé d’avoir
incité à la haine en publiant des extraits du journal extrémiste
Kangura. C’est aberrant. Il avait effectivement repris des passages
de cette revue, mais c’était dans le but d’en dénoncer
la haine et l’intolérance. Le père Theunis était
notre correspondant au Rwanda en 1992 et 1993. Nous ne l’oublions
pas et n’aurons de cesse de clamer son innocence et de nous mobiliser
pour obtenir sa libération au plus vite[2]».
Le ton est lancé. Sans disposer d’un moindre indice sur le
contenu du dossier, RSF a déjà pris une option partisane
de défendre Guy Theunis de facto, peu importe la teneur et la gravité
des accusations à sa charge. Une campagne de discrédit est
vite menée contre les autorités rwandaises, contre la justice
et contre les témoins à charge. La volonté de RSF
n’est pas celle de procéder à la collecte impartiale
d’informations. Rien ne les intéresse dans ce sens. Dès
le départ, la préoccupation prédominante de RSF est
celle de la défense aveugle de son protégé, au mépris
le plus absolu des victimes du génocide, des témoins, de
la justice et des autorités rwandaises. Nous sommes en face d’une
véritable moquerie contre la justice rwandaise et dans une prise
de position démagogique et ordurière.
Nous trouvons cette option non seulement dans le Communiqué précité,
mais aussi dans celui qui l’a suivi un mois après, soit le
11 octobre 2005. Il y est écrit ce qui suit : « Les accusations
portées contre lui [Guy Theunis] n’ont aucun fondement. Rien
dans les documents présentés lors de l’audience devant
la Gacaca, ni ultérieurement, ne prouve que Guy Theunis aurait
incité d’une quelconque façon à la haine ethnique
ou nié l’existence du génocide rwandais de 1994. (…)
Cette affaire est politique. Aucune enquête n’a été
vraisemblablement été menée en amont par les autorités
judiciaires. Il semble que le parquet rwandais a signé un mandat
d’arrêt sous la pression de certains cadres du Front patriotique
rwandais (FPR au pouvoir), dont certains ont témoigné contre
Guy Theunis lors de son audience devant un tribunal populaire. Par ailleurs,
la promesse faite par le gouvernement rwandais d’extrader Guy Theunis
vers la Belgique à la seule condition qu’un jugement ait
lieu à Bruxelles n’est pas acceptable. En effet, les éléments
produits par la justice rwandaise ne justifient même pas la tenue
d’un procès ».
A la lecture de ces différents communiqués, on s’aperçoit
incontestablement que RSF a d’emblée un parti-pris pro-Theunis.
Ainsi, l’initiative de se rendre au Rwanda, soit-disant pour enquêter,
avait un but militant et pas autre chose. Ce simulacre d’enquête
n’était en réalité qu’une ruse destinée
à tromper l’opinion internationale, en lui faisant comprendre
que des éléments recueillis sur terrain n’avaient
révélé rien de consistant. Il ne s’agissait
que d’une stratégie tendancieuse mise en avant pour mieux
conforter le postulat et la thèse de « l’innocence
» de Guy Theunis. Justement, nous avons pu observer que les envoyés
de RSF qui ont effectué leur courte visite au Rwanda, ne se sont
essentiellement intéressés qu’aux éléments
à décharge. Au cours de nos rencontres, ils n’ont
véritablement manifesté aucun intérêt pour
les faits et les preuves soutenant l’accusation. Je doute même
qu’ils aient eu accès au dossier judiciaire. Néanmoins,
cela ne les empêche pas de clamer haut et fort que la justice rwandaise
ne dispose d’aucun élément qui justifierait la tenue
d’un procès.
Cette attitude est non seulement scandaleuse, elle est surtout injurieuse
à l’égard de la justice rwandaise qui, comme toute
institution de droit, a la pleine souveraineté d’instruire
et d’organiser un procès. Il appartient à la justice,
et à elle seule, d’apprécier si les éléments
recueillis permettent ou pas de continuer les poursuites. Il n’est
pas de la mission de RSF de donner des leçons de morale aux institutions
judiciaires rwandaises. Ce n’est pas non plus dans les compétences
d’un journaliste de procéder à la qualification juridique
des faits reprochés à Guy Theunis. RSF devrait être
humble pour ne se contenter que de son domaine de compétence, le
journalisme, et pas faire une immixtion dans le droit, avec une appréciation
déplacée de la législation rwandaise. Cette ingérence
est intolérable, surtout qu’elle aboutit à des mensonges
et à des prises de positions diffamatoires.
2. Le déni du droit à la justice
Dans ledit rapport, RSF prétend que, nous les témoins cités,
nous n’avions aucun droit de témoigner devant la juridiction
Gacaca qui, le 11 septembre 2005, a entendu Guy Theunis. Selon RSF, les
principaux témoins n’étaient pas au Rwanda au moment
du génocide et n’avaient en conséquence aucun droit
à la parole. RSF le dit en ces termes : « Contrairement aux
usages, les témoins n’habitaient pas dans le district de
Rugenge au moment des faits et la majorité d’entre eux n’étaient
pas présents au Rwanda en avril 1994 ». De quels usages RSF
fait-il allusion?
Rappelons que la loi portant sur l’organisation et le fonctionnement
des juridictions Gacaca n’interdit pas aux témoins qui n’habitaient
pas telle ou telle localité de donner à la juridiction concernée
tous les éléments d’information dont ils disposent
en rapport avec les crimes commis dans n’importe quel endroit du
territoire rwandais. C’est même, au regard de la législation
rwandaise, un devoir civique et une obligation légale au bénéfice
de la justice. Le refus de témoigner est par conséquent
un délit.
Voilà ce à quoi se sont conformés tous les témoins
qui ont chargés Guy Theunis. Ils ont agi non seulement en toute
légitimité, mais aussi dans la plus totale légalité.
Ensuite, et c’est cela l’essentiel, chacun de ces témoins
a des informations très pertinentes sur les infractions reprochées
à Guy Theunis. Ils ont le droit de les révéler à
la juridiction, celle-ci disposant de sa souveraineté dans leur
appréciation.
Par ailleurs, il convient de rappeler à RSF que même Alison
DesForges qui, à l’instar des Guichaoua et compagnie, a amassé
du trésor, en tant qu’ « experte du Rwanda »
devant le Tribunal Pénal International pour le Rwanda, ne vivait
pas non plus dans ce pays en 1994 ! Et pourtant, RSF ne met nulle part
en cause le bien-fondé de son témoignage. Par contre, RSF
magnifie Alison DesForges et son soutien à Guy Theunis. Qu’importe.
A ce qui me concerne, je connais personnellement Guy Theunis depuis 1970,
longtemps avant que RSF ne connaisse même pas que ce Monsieur existe.
J’ai vécu avec lui dans la même congrégation
missionnaire pendant huit ans entre 1988 et 1996.
J’ai eu des contacts réguliers et de nombreux échanges
verbaux et écrits avec lui, en particulier après 1994. Comment
RSF peut-il écrire que, par ce que je ne vivais pas au Rwanda en
1994, je ne dispose aujourd’hui d’aucun élément
probant à charge contre Theunis ? Pareille affirmation est dénuée
de bon sens et de discernement. Puis- je signaler à RSF que je
suis né au Rwanda, que j’y ai grandi, que j’y ai étudié
et travaillé de nombreuses années, que ma famille y habitait
et que 84 membres de ma famille directe (parents, frères, oncles,
tantes, neveux, nièces, cousins, cousines, amis,…) ont péri
dans le génocide ?
Faut-il rappeler à RSF qu’étant rescapé de
ce génocide, j’ai eu à rechercher des informations
sur tous ces assassinats et que je connais les responsables de ces tueries
? Est-il nécessaire de souligner qu’Antoine MUGESERA a travaillé
avec Guy Theunis au sein du Comité de rédaction de la revue
Dialogue ? Aussi, Tom NDAHIRO connaît mieux que quiconque les agissements
de Guy Theunis, notamment au sein de la Radio Amahoro ! La même
observation vaut pour toutes les personnes qui ont témoigné
contre lui. Alors, de quel droit RSF peut-il nous dénier notre
droit à la justice ?
Franchement, RSF ignore-t-il qu’il ne peut y avoir de génocide
sans génocidaires et surtout sans idéologie génocidaire
? Ignore-t-il que les génocidaires et les idéologues appartenaient
à tous les milieux : gouvernement, administration, partis politiques,
confessions religieuses… ? C’est ridicule d’oser penser
a priori qu’un missionnaire ne pourrait être impliqué
dans le génocide ! Que du contraire!
La réalité rwandaise de 1994 révèle malheureusement
que beaucoup de prêtres, religieux et religieuses, Rwandais et expatriés
ont tué ou fait tuer leurs chrétiens. Ignorez-vous, «
excellents » journalistes de RSF, ce qui s’est passé
à Nyange où le curé Athanase Seromba a donné
l’ordre de détruire l’Eglise au bulldozer avec tous
les Tutsi qui y avaient trouvé refuge ? Ignorez-vous les horreurs
qu’ont commises les sœurs Gertrude et Kizito du Monastère
de Sovu qui ont fait tuer des déplacés Tutsi venus se cacher
au couvent ? La liste de ces assassins est longue, je ne me limite qu’à
ces deux exemples parmi bien d’autres.
3. La dénonciation calomnieuse du déroulement de
l’audience
Voici comment RSF décrit faussement l’ouverture de la séance
d’audition de Guy Theunis devant le tribunal Gacaca : « Dès
le début de l’audience, l’un des témoins à
charge, Jean-Damascène Bizimana, un ancien séminariste chez
les Pères Blancs, distribue un dossier aux neuf juges ainsi qu’à
certaines personnalités importantes présentes sur les lieux.
En revanche, Guy Theunis, Alison DesForges et les journalistes étrangers
présents sur place n’y ont pas accès ».
Quelles sont ces personnalités importantes qui étaient présentes
sur les lieux et qui auraient eu le privilège de recevoir un dossier
préparé d’avance par mes soins? J’aimerais que
RSF indique, preuves à l’appui, une seule personnalité
à qui j’aurais distribué ce prétendu dossier.
La personne qui vous a donné cette information n’est pas
sérieuse. C’est une menteuse. Elle a sûrement voulu
se venger ou me discréditer du fait que j’ai refusé
de lui donner mes documents qu’elle souhaitait récupérer.
C’est totalement calomnieux.
Dans la bonne logique des choses, une organisation comme RSF, prétendument
orientée vers la défense du droit à l’exacte
information, aurait dû éviter de reprendre un discours accusateur
sans se soucier d’interroger les personnes mises en cause. Là
est la diffamation, et celle-ci est un délit, vous le savez bien.
En outre, pourquoi cette assertion selon laquelle Guy Theunis et Alison
DesForges n’ont pas eu accès à cet imaginaire dossier
? Même si c’était vrai, RSF peut-il m’indiquer
sur quelle base juridique devais-je être obligé de donner
un dossier à une personne mise en accusation par un tribunal souverain
?
Comme cela se passe devant n’importe quelle juridiction, même
en France, le témoin ne s’adresse qu’aux juges, c’est
à eux à qui il fournit ses preuves. Voilà ce que
j’ai fait devant la juridiction Gacaca de la cellule Ubumwe. Alison
DesForges, je ne la connaissais qu’à travers ses écrits.
Je ne l’ai vu pour la première fois que lorsqu’elle
s’est levée pour témoigner. Je ne savais donc pas
d’avance ce qu’elle allait dire, et je n’avais aucune
raison, a priori, de lui refuser un éventuel document si par hasard
celui-ci existait.
De plus, je ne vois pas pour quelle raison il aurait fallu que j’accorde
une considération particulière à Mme DesForges plus
que les 800 personnes qui participaient à l’audience. D’ailleurs,
cette dernière m’a-t-elle demandé quoi que ce soit,
même après la séance ? Il en est ainsi pour les journalistes
étrangers, contre lesquels RSF estime que j’ai pratiqué
la ségrégation en donnant le soit-disant document qu’aux
seuls journalistes rwandais. Je n’ai donné de dossier ni
à la presse rwandaise ni étrangère. Pas même
un interview, et ils ont été nombreux à me le solliciter.
N’en déplaise à RSF, à ses informateurs de
mauvaise foi et aux fanatiques du mensonge, notre présence à
l’audience dans la juridiction Gacaca du 11 septembre 2005 n’était
pas synonyme d’une campagne médiatique. Les témoins
à charge n’étaient pas là pour faire du vedettariat
comme le laisse entendre les propos de RSF. Nous nous trouvions dans une
séance judiciaire qui examinait l’implication d’un
missionnaire dans un crime grave, le génocide.
A l’instar d’autres témoins, j’avais et j’ai
encore des éléments à charge à confier au
tribunal, publiquement, pour que la vérité soit connue et
que justice soit faite aux victimes, aux survivants et au peuple rwandais
que Guy Theunis a offensés. Seule cette préoccupation retenait
mon attention. Les médias ne cherchaient que des faits bruts spectaculaires
pour vendre leurs papiers ou faire fonctionner leurs radios; moi j’étais
là comme une victime en quête de justice, et comme un citoyen
rwandais qui participait à un processus judiciaire destiné
à rétablir la paix sociale dans mon pays. C’est tout.
Cela étant, pour que la vérité triomphe, voici brièvement
comment mon témoignage s’est déroulé. Et cela
peut se vérifier, les caméras étaient-là,
ils ont filmé la tenue de la séance du début à
la fin, les images pourront en cas de nécessité, confirmer
mes propos. En effet, l’audience a été ouverte par
le juge-président de la juridiction Gacaca de la cellule UBUMWE
selon la loi régissant les procès Gacaca. Après avoir
demandé à Guy Theunis de décliner son identité,
il a lu les accusations portées à son encontre. Chacun des
juges a interrogé l’accusé. Enfin, le juge-président
a accordé la parole au public. Chaque personne qui a voulu parler
a sollicité et obtenu la parole.
C’est à cette occasion-là, et uniquement à
cet instant-là, que j’ai demandé la parole pour commencer
mon témoignage. J’ai dit ce que j’avais à dire,
ce que je sais, ce que j’ai vécu, vu et entendu. Je peux
répéter chacun de ces éléments et je suis
prêt à les répéter dans l’intérêt
de la justice. Dans la mesure du possible, je tenais à donner des
preuves des faits que j’affirmais. Voilà pourquoi je montrais
aux juges, uniquement à eux, les écrits de Guy Theunis qui
confortaient mes éléments à charge. Mais jamais et
alors jamais, il n’a été question d’un dossier
distribué préalablement à quelques privilégiés
avant le début de l’audience comme le dit calomnieusement
le rapport de RSF.
Un mensonge identique se trouve dans une autre affirmation selon laquelle
: « un observateur étranger reconnaît parmi ces ‘témoins’,
un chargé de communication au sein du service national des gacacas
[sic !], au ministère de la Justice. Ce dernier ne connaît
même pas l’accusé ». Soyez sérieux chers
journalistes de RSF ! Très franchement, aucun agent du Service
national des juridictions Gacaca n’a témoigné dans
cette affaire. Et même si cela avait le cas, je ne vois pas où
se trouve l’illégalité. Un agent du service national
des juridictions Gacaca est un citoyen rwandais comme les autres.
Cette qualité lui donne le plein droit de participer au processus
Gacaca. La loi n’édicte aucune interdiction à l’égard
de ces agents. C’est donc un faux problème que soulève
RSF. Par ailleurs, je suis certain que ce n’est pas innocent le
fait que cet « observateur étranger » préfère
garder l’anonymat, pour ne se dévoiler qu’aux autres
étrangers que sont « Reporters Sans Frontières ».
Si celui-ci est sûr de la matérialité des faits qu’il
affirme, pourquoi ne révèle-t-il pas son identité
? Le jeu du cache-cache n’est rien d’autre qu’un subtile
moyen de couvrir les rumeurs et les mensonges, et en fin de comptes de
répandre la calomnie. Il s’agit d’une tactique négative
délibérée, visant à vouloir faire comprendre
que la juridiction Gacaca était manipulée.
Quand on n’assume pas ses déclarations ou ses écrits,
c’est un signe de faiblesse, d’hypocrisie et de délation.
Puis, il faut relever une autre erreur gravissime qu’un journaliste
sérieux ne devrait commettre : le service national des juridictions
Gacaca ne fait pas partie de l’organigramme du Ministère
de la justice, comme le suggère le rapport de RSF. Il s’agit
d’une institution totalement autonome. Ainsi, l’insérer
dans les organes du MINIJUST comme le fait RSF répond à
la même stratégie, fausse mais récurrente, destinée
à démontrer la soit-disante absence d’indépendance
du tribunal Gacaca qui a jugé Guy Theunis.
4. Les mensonges sur mon identification et sur mes engagements
Je ne sais pas qui a donné mon CV à RSF, si jamais ils l’ont
reçu. Simplement, je relève à la lecture de leur
rapport, que ce qu’ils affirment dans la description de mon identité
et de mon parcours n’ont que très peu d’exactitudes.
Il est par exemple écrit que j’aurais fait un « stage
au Mali ». C’est absolument faux. Il est ensuite dit que je
suis « également professeur de droit international au Centre
d’études et de recherches sur les droits fondamentaux de
l’Université libre de Kigali ». C’est catégoriquement
faux. RSF écrit également que je suis « proche de
Jean-Paul Goûteux » et que je suis « actif dans les
réseaux de dénonciation des responsabilités supposées
de l’Eglise catholique et des Pères Blancs dans le génocide
». Il y aurait beaucoup à dire là-dessus.
En effet, quel lien de cause à effet mes relations d’amitié
avec Jean-Paul Goûteux a-t-il avec le dossier Theunis ? De plus,
sans renier en aucun moment mon attachement et mon affection pour Jean-Paul
Goûteux, je me demande si RSF est en mesure de prouver le degré
et la nature de ma proximité avec lui ! Mais cela n’est pas
tellement important, je suis très fier d’avoir Jean-Paul
Goûteux comme ami. Ses travaux de vérité, profondément
fouillés et superbement documentés, honorent le Rwanda et
la France. Je connais tellement de Français qui sont indignés
de la politique de la France au Rwanda entre 1990 et 1994. Les chercheurs
de l’énergie de Jean-Paul Goûteux leur font honneur.
J’en profite, de passage, pour saluer la mémoire du regretté
François-Xavier VERSCHAVE, l’un de ces Français infatigables
défenseurs de la vérité et d’une politique
juste de la France en Afrique.
S’agissant du second volet d’accusation à mon égard,
RSF peut-il indiquer quels sont ces réseaux de dénonciation
de l’Eglise catholique et des Pères Blancs auxquels je ferais
partie ? Où se trouvent-ils et quels actes concrets font-ils ?
RSF est-il en mesure de nous fournir un moindre élément
de réponse et de preuve là-dessus ? Bien sûr que non.
Il s’agit d’une affirmation gratuite, calomnieuse et diffamatoire
qui ne repose sur aucun élément de fait. Comme témoin
et intellectuel, j’ai simplement donné des témoignages
sur ce que j’ai vu et vécu chez les Pères Blancs et
dans l’Eglise catholique rwandaise. J’ai mené des travaux
de recherches, notamment sur l’action des Pères Blancs dans
le génocide, lesquelles ont abouti à la publication de mon
ouvrage : « L’ Eglise et le génocide au Rwanda : les
Pères Blancs et le négationnisme », paru à
Paris aux Editions L’ Harmattan il y a quelques années déjà.
Es-ce cela appartenir à un réseau de délateurs ?
En l’état actuel des choses, je suis loin d’être
le seul à penser et à constater que l’Eglise catholique
rwandaise en général, et les Pères Blancs en particulier,
ne sont pas innocents dans la série de crimes qui ont souillé
l’histoire de mon pays. Mon livre a obtenu le consentement des Pères
Blancs honnêtes et aimant la vérité. Il y en a qui
m’ont exprimé leur accord face au contenu de l’ouvrage.
Si maintenant RSF croit en la pure innocence de l’Eglise et des
Pères Blancs, je lui en laisse l’entière responsabilité.
C’est une conviction qui n’a rien de vrai et qui finira par
s’éteindre d’elle-même. Vous savez, la vérité
finit toujours par rebondir, surtout lorsqu’il s’agit d’un
crime monstrueux ayant l’ampleur du génocide des Tutsi. Quand
on nie l’évidence, quand on défend l’indéfendable,
on devient peu crédible. C’est bien le cas du comportement
de Reporters Sans Frontières dans l’affaire Theunis.
5. La déformation du contenu de mon entretien
Lors de ma rencontre avec Jean-François JULLIARD, envoyé
spécial de RSF au Rwanda, j’ai passé une demi-heure
avec lui. C’est dire qu’il ne s’intéressait pas
en réalité à la recherche de toutes les informations.
Dans un tel dossier, l’on ne peut pas recueillir tous les éléments
en moins d’une heure. Jean-François JULLIARD avait ses propres
certitudes, il avait une mission bien établie à accomplir
: celle de trouver des éléments de soutien à Guy
Theunis. Point. Pour ce faire, il fallait évidemment faire semblant
d’avoir rencontré des témoins de l’accusation.
C’est ce qui explique le temps très court qu’il m’a
accordé, alors que c’était lui qui m’avait contacté.
Et Dieu sait que je souhaitais lui donner tous les éléments
convaincants à ma disposition. Mais il n’en avait ni le temps
ni l’envie.
En effet, lorsque nous nous sommes vus, j’ai aussitôt commencé
mon énumération des faits, en essayant de les expliquer
le plus clairement possible. Le journaliste ne prenait que très
rarement note. Je me suis interrogé sur ce désintérêt,
j’ai failli arrêter la conversation, mais j’ai foncé,
car pour moi la vérité devait sortir. En évoquant
des faits, j’apportais des preuves que je disposais. Le journaliste
a voulu photocopier mes lettres individuelles et des Fax, ce que j’ai
refusé. J’ai accepté tout de même qu’il
photocopie quelques articles comportant des citations de haine, de discrimination
et de racisme signés par Guy Theunis. J’ai aussi accepté
qu’il prenne note de certains extraits des courriers individuels
contenant des propos délictueux. De tout cela, l’envoyé
de RSF n’a rien mentionné dans son rapport. Et quand il en
a petitement fait mention, il a déformé leur contenu et
les a commentés uniquement dans le sens favorable à Guy
Theunis.
Exemple flagrant de cette malhonnêteté intellectuelle : A
la page 6 du rapport, il est écrit : « Jean-Damascène
Bizimana a remis à Reporters Sans Frontières, comme élément
à charge, le compte-rendu d’un débat organisé
en 1997 –soit trois ans après le génocide- par un
journaliste belge entre le Père Theunis, la journaliste Colette
Braeckman et l’universitaire Filip Reyntjens. Lors de cette rencontre,
le Père blanc a affirmé que les Tutsis avaient tendance
à ‘gâter les choses’ et que la ‘violence’
[venait] toujours du même côté’, se référant
à l’histoire du pays ». Et RSF de commenter : «
En aucun cas, ces propos ne peuvent être considérés
comme une négation du génocide ou une incitation à
la ‘haine ethnique’ ». Pourquoi RSF a-t-il omis de reprendre
textuellement tout le passage ? C’est simplement par ce qu’il
est trop clair, et qu’ainsi, il paraît trop gênant pour
RSF qui souhaite défendre inconditionnellement l’accusé
Guy Theunis.
Voici la version exacte et complète de ce passage : « C’est
une constante. Les Hutus sont généralement pacifiques. Ils
voulaient une évolution non violente. La violence vient toujours
du même côté. D’un seul côté. (…)
Du côté des Tutsis. Ce sont toujours les Tutsis qui provoquent,
qui d’une manière ou d’une autre gâtent les choses[3]
». Les Tutsi seraient, selon Guy Theunis appuyé par RSF,
responsables de leurs déboires. Ils ne seraient que de froids comploteurs
machiavéliques de tous les malheurs qui se sont abattus sur le
Rwanda, leur génocide y compris ! Comme dans nombre d’argumentations
négationnistes, l’exécution du génocide serait
en définitive imputable aux victimes elles-mêmes. Ce «
safari idéologique[4] », pour reprendre la magnifique expression
de Jean-Pierre CHRETIEN, n’est pas sans rappeler les stéréotypes
en vogue à la fin des années 50 où les Tutsi sont
disqualifiés, méprisés, alors que les Hutu accèdent
à des qualificatifs appréciatifs qui leur avaient été
privés à l’arrivée des premiers missionnaires.
Dans un autre article paru en novembre 1994 dans la revue catholique de
l’Eglise de France, INCROYANCE ET FOI n° 72, p.59 Guy Theunis
évoquant le changement de régime au Rwanda a écrit
ceci à l’égard de nouveaux dirigeants : “Une
dictature est remplacée par une autre dictature plus intelligente
(…) il faut un dialogue entre le pouvoir en place et les représentants
des réfugiés (car) l’injustice criante actuelle est
celle d’un pays conquis par un peuple d’étrangers alors
que les habitants premiers croupissent dans la misère soit comme
réfugiés à l’étranger, soit comme déplacés
à l’intérieur[5]“. Ce « peuple d’étrangers
» dont parlait Theunis n’était autre que les réfugiés
Tutsi qui rentraient dans leur patrie après plus de trente ans
de privation de leur droit à la nationalité rwandaise. Ces
« habitants premiers » en faveur desquels plaidait Theunis
sont bien sûr les Hutu.
Ce discours profondément raciste, sous-entend que les Tutsi ne
seraient pas des Rwandais à part entière. Theunis les considère,
comme le faisait le parti extrémiste CDR, à des colonisateurs
du Rwanda, des envahisseurs, des usurpateurs. Les vrais Rwandais, les
habitants légitimes que sont les Hutu, selon Theunis, sont dans
la souffrance qui nécessite l’intervention pour leur libération
! Comment RSF peut-il oser écrire, sans se discréditer,
que ce genre de propos haineux ne constitue pas une incitation au génocide
?
N’oublions pas que c’est la stigmatisation des Tutsi qui a
débouché non seulement au génocide de 1994, mais
aussi aux massacres successifs dont ils ont fait les frais. Ramener ce
genre de discours, veut-il signifier autre chose que la consécration
de la division ? Dans la mesure où l’on fait comprendre à
certains habitants du Rwanda qu’ils ont plus de droits que d’autres,
il s’agit de rien d’autre que du sectarisme, du réveil
des inimitiés et, au final, de l’incitation à la haine
ethnique. Le génocide commence toujours par la harangue génocidaire.
C’est cela que fait Guy Theunis en reprenant des clichés
ethnistes dont il connaît la nocivité.
Ces propos ne sont pas sans rappeler les paroles musclées de l’ancien
président Habyarimana, peu avant le déclenchement du génocide.
Le 20 mars 1994, à l’occasion de la réception de l’équipe
nationale rwandaise de foot-ball qui rentrait d’un match de présélection
pour la coupe du monde, Habyarimana avait publiquement déclaré,
s’adressant sans doute aux joueurs, mais aussi à son armée
et à ses miliciens : « je n’ai jamais perdu, car quand
la partie semblait mal tourner, je n’ai jamais hésité
à briser la jambe du joueur de l’équipe adverse. Il
m’est même arrivé de casser le ballon lui-même.
Je suis comme ça[6]… ». Un message sans aucune ambiguïté
pour les radicaux qui exécutèrent le génocide des
Tutsi et l’assassinat des Hutu démocrates.
Au cours de ma rencontre avec Jean-François JULLIARD, je lui ai
fourni plusieurs citations de la même veine prononcées par
Guy Theunis. Mais dans son rapport, il les a complètement gommés.
Es-ce innocent ? Je ne pense pas. L’on peut à cet effet considérer
que l’occultation et la déformation par RSF du caractère
raciste contenu dans les déclarations et les écrits de Guy
Theunis répondait à des mobiles hautement inavouables. Certainement,
RSF les a trouvés tellement grossiers et flagrants qu’il
n’y avait pas moyen de les reproduire, pour ensuite écrire,
d’une manière crédible, qu’ils ne comportent
aucun élément d’incitation à la haine ethnique.
Par ailleurs, la stratégie obscène consistant à renvoyer
dos à dos l’ancien pouvoir rwandais, auteur du génocide
des Tutsi et des crimes contre l’humanité, et le FPR qui
a mis fin à ces crimes, équivaut au négationnisme.
Ça c’est criminel, chers amis ! Et ça ce n’est
pas bon.
6. Des hypothèses fantaisistes et farfelues
Aux pages 8-9 du rapport portant le sous-titre « Pourquoi avoir
arrêté Guy Theunis ? », RSF passe en revue quatre hypothèses
qui justifieraient, selon eux, l’arrestation de Guy Theunis. Parmi
celles-ci, RSF avance « la vendetta des tenants du pouvoir »
comme « la plus crédible ». RSF affirme que Guy Theunis
est victime d’ « une vendetta personnelle et politique menée
par une poignée de tenants du pouvoir qui ont profité du
passage de l’ancien journaliste de Dialogue au Rwanda pour lui faire
payer son engagement religieux, ses dénonciations du FPR pour ses
violations des droits de l’homme, ou tout simplement pour régler
des comptes personnels».
Est-ce à dire qu’aucun expatrié à qui le Rwanda
reproche des faits précis ne doit être appréhendé
au motif que le mobile de l’interpellation ne pourra qu’être
revanchard ? Très honnêtement, aucun témoin à
charge, n’a été manipulé par aucune autorité.
Aucun témoin, parmi ceux que je connais, n’a de haine envers
la personne de Guy Theunis, pour faire de lui une bête immonde à
sacrifier. Cela étant, nous haïssons ses actes criminels,
et c’est bien ceux-ci que nous dénonçons et condamnons.
Energiquement. Rien de plus, rien de moins.
Dans le même rapport, RSF nous apprend qu’ « un texte
rédigé, sous couvert d’anonymat, par un haut responsable
du ministère de la justice, a été adressé,
fin septembre, au journal Umuseso » et que « Celui-ci a décidé
de n’en publier qu’une partie sous le titre ‘Finie l’action
des Pères Blancs au Rwanda’, supprimant les passages les
plus virulents et notamment ceux qui accusaient nommément de ‘ségrégationnisme’
des Pères Blancs encore présents dans le pays ».
Tout de suite après, RSF cite mon nom en écrivant : «
Jean-Damascène Bizimana, un ancien séminariste chez les
Pères Blancs et l’un des accusateurs de Guy Theunis pendant
la gacaca du 11 septembre, a déclaré à Reporters
Sans Frontières qu’il avait porté plainte le 6 septembre,
dès qu’il avait appris la présence de l’ancien
journaliste dans le pays. Il a refusé de révéler
qui lui avait communiqué cette information ». Ce discours
n’est pas exact. J’ai simplement dit à Jean-François
JULLIARD que j’avais vu Guy Theunis moi-même. Mais visiblement,
ma parole n’a pas été crue. Tant pis !
Pour conclure son rapport, RSF écrit avec une ferme certitude que
l’arrestation de Guy Theunis est guidée par « Des motivations
personnelles enfin, pour ceux qui connaissent le prêtre depuis de
longues années et voient en lui un obstacle à leurs ambitions[7]
». Plus loin on lit ceci : « Une poignée d’individus,
poussées par des motivations personnelles ou politiques, a monté
un dossier contre le prêtre dans l’urgence[8] ». Et
ces individus-là sont cités dans une note explicative en
ces termes : « selon les informations recueillies par Reporters
Sans Frontières, le procureur Emmanuel Rukangira, Tom Ndahiro et
Jean-Damascène Bizimana ont été vus ensemble dans
un hôtel de Kigali, s’échangeant des documents, quelques
jours avant la tenue de la gacaca ».
De tels propos de suspicion sont inadmissibles. Supposons même que
cette dernière affirmation soit vraie ! En quoi un échange
de documents entre Rukangira, Ndahiro et Bizimana constitue-t-il un acte
indigne et condamnable ? Il est dans la pratique de tous les Etats de
droit que les enquêtes se fassent normalement, et que les éléments
d’un dossier judiciaire soient recherchés par des agents
compétents. Le procureur Rukangira en est un. Cet acte en soi a-t-il
quelque chose de choquant au vu de RSF ? Que RSF explique alors comment
se déroulent les enquêtes en France et ailleurs au monde?
Les procureurs ou les juges d’instruction ne procèdent-ils
pas à la collecte de preuves ?
En France, le fait d’apercevoir un juge d’instruction ou un
procureur avec des témoins constitue-t-il un sujet de suspicion
? Rukangira, Ndahiro et Bizimana ont aussi droit de se rencontrer, ne
fût ce que pour partager un verre ! Y a-t-il quelque chose de répréhensible
dans cet acte pour être mentionné dans un rapport public
? Rien n’interdit aux trois personnes nominées par RSF de
se trouver ensemble. J’imagine aussi que l’espion qui a fourni
cette information à RSF n’était pas non plus seul
dans cet hôtel. Or, personne d’entre nous ne s’est mis
à mettre des doutes sur le mobile de sa présence qui, visiblement,
n’avait rien d’innocent. Arrêtez cette campagne de suspicion
s’il vous plaît !
Par ailleurs, RSF évoque de prétendues « motivations
personnelles » qui auraient animées les témoins car
Guy Theunis constituait, si l’on en croit RSF, un obstacle à
« leurs ambitions personnelles ». Il aurait été
mieux de préciser quel type d’ambitions dont il s’agit.
Soyons quand même sérieux : Comment franchement Guy Theunis
peut-il constituer un obstacle aux ambitions d’un Rwandais se trouvant
dans son pays, et de quelle manière son arrestation permet-elle
de franchir cet obstacle ? Je ne savais pas que Guy Theunis était
important jusqu’à ce niveau ! Maintenant, RSF nous apprend
qu’il faudra passer par lui pour obtenir une promotion ou une ascension
sociale au Rwanda!
Que répondre face à un tel abus d’arguments ? Disons
simplement que Guy Theunis n’est pas, loin s’en faut, le seul
Père Blanc que les témoins mis en cause connaissent. Ils
connaissent aussi plusieurs autres Pères Blancs qui vivent tranquillement
au Rwanda, et qui y jouissent de la pleine hospitalité. Alors,
pour quel intérêt se venger contre le seul Guy Theunis? Cet
argument d’une « vendetta personnelle » n’a ni
sens ni fondement.
Je ne vois pas au nom de quel principe, au nom de quelle règle,
on s’attaquerait arbitrairement à un missionnaire à
qui on ne reproche rien. Tenir ce genre de discours ou le cautionner correspond
au délire. En somme, ces procès d’intention, ces atermoiements,
sont la suprême insulte non seulement aux témoins ici nommés,
mais aussi à toutes les victimes du génocide. Inadmissible
!
7. Le dénigrement des pièces à conviction
La conclusion de RSF est sans équivoque : « Guy Theunis est
innocent des faits dont on l’accuse. Les ‘preuves’ présentées
contre lui avant, pendant et depuis la tenue de la Gacaca n’ont
aucun fondement. Tout laisse penser que l’accusation a été
fabriquée à la dernière minute, à l’aide
de documents récupérés sur Internet ou dans les colonnes
de la revue Golias. Une poignée d’individus, poussées
par des motivations personnelles ou politiques, a monté un dossier
contre le prêtre dans l’urgence ». On aimerait pouvoir
en rire.
Relevons au passage que cet « innocent » que nous présente
Reporters Sans Frontières, « revenait de Bukavu, où
il avait participé à une médiation visant à
ramener la paix dans l’est du Congo[9] ». Cette intéressante
révélation vient de la plume même de Robert MENARD,
secrétaire général de Reporters Sans Frontières
! Donc, vraie médiation ou participation à une campagne
de déstabilisation du Rwanda et d’achèvement du génocide
par les FDLR? Et si cet « innocent » Theunis était
en réalité le Père spirituel des FDLR comme André
Perraudin l’était pour le Parmehutu ? L’histoire le
dira.
Lorsque Jean-François JULLIARD, journaliste de RSF, s’est
présenté devant moi à Kigali, il a commencé
par me dire qu’il savait que je connaissais effectivement Guy Theunis
de près, et qu’il avait notamment lu le matin du même
jour, une lettre ouverte que j’ai adressé à ce dernier
en janvier 1998. Avec ce discours inaugural, j’ai cru avoir en face
de moi un véritable journaliste ayant le souci d’informations,
et qui était venu pour mener une vraie investigation. La façon
dont l’entretien s’est déroulé et la lecture
du rapport final me montrent que je m’étais véritablement
trompé. La citation ci-dessus indiquée le montre assez bien.
En effet, RSF prétend que nous avons récupéré
sur Internet toutes les pièces à conviction. Sur quel site
Internet peut-on récupérer les Fax des Pères Blancs
? Sur quel site Internet peut-on trouver des lettres individuelles ?
Lors de la séance Gacaca, des témoins ont méticuleusement
décrit les mouvements de Guy Theunis pendant le génocide
avec l’Abbé Munyeshyaka et le général Munyakazi.
Ils ont signalé qu’ils ont tenu des réunions à
la procure près de l’Eglise Sainte Famille. Ces réunions
avaient-elles pour but de sauver des gens ? Ne faut-il pas plutôt
y voir une association de malfaiteurs que sanctionnent les articles 281
à 283 du Code pénal rwandais ? L’article 281 dispose
: « Toute association formée quel que soit le nombre de ses
membres ou sa durée, dans le but d’attenter aux personnes
ou aux propriétés, est un crime qui existe par le seul fait
de l’organisation de la bande ».
Ces témoins ont aussi informé le tribunal des actes commis
ensuite par l’Abbé Munyeshyaka qui est l’actuel protégé
de Guy Theunis en France. J’ai compris que si Theunis couvre Munyeshyaka
avec acharnement, c’est pour que celui-ci ne le dénonce pas,
si un jour un procès se tient. Bref, des témoins ont rapporté
des faits, des écrits, des photos prouvant la connivence de Guy
Theunis avec les génocidaires, sa complicité.
Donc, toute cette compilation d’éléments a été
tirée sur Internet et dans la revue Golias, pensez-vous ? Croyez-vous,
au regard de mon passé comme étudiant des Pères Blancs,
que je ne dispose d’aucune trace de leurs écrits auxquels
Guy Theunis a participés dans leur rédaction, les télécopies
en particulier ? Acceptons même qu’il y ait eu des documents
récupérés sur Internet. Dans la mesure où
ils étayent le fondement des accusations contre Guy Theunis, pourquoi
faut-il les discréditer ?
CONCLUSION
On l’aura compris, les publications de RSF sur l’affaire Theunis
n’ont rien de sérieux. Le rapport et les communiqués
parus manifestent à l’égard des victimes et des témoins
un mépris courroucé et une amnésie bien indécente
qui frisent la révolte. Les écrits de RSF à ce sujet
sont dénués de toute vérité. Des hypothèses
émises sont insensées. Les doutes formulés contre
la sincérité des dépositions des témoins à
charge sont sans raison d’être. La mauvaise foi de RSF est
manifeste. Ce faisant, RSF ne respecte ni ses membres auxquels il fournit
la désinformation, ni l’opinion internationale à qui
il assène une propagande mensongère. Rien de surprenant
cependant lorsqu’on analyse le comportement de RSF sur le Rwanda
depuis 1994. RSF est habitué à ce genre de basses œuvres.
En effet, on se souvient qu’à la sortie du premier dossier
relatif à l’enquête menée par la revue GOLIAS
en juillet 1995, incriminant Feu l’Abbé André SIBOMANA,
RSF avait engagé une vive polémique contre GOLIAS. La raison
en était la présence du nom de SIBOMANA en bas d’une
liste de prêtres qui avaient assassiné ou encouragé
des assassinats pendant le génocide. A l’époque, RSF
et SIBOMANA avaient, sans succès, porté l’affaire
devant le juge des référés pour obtenir l’insertion
d’un démenti dans dix organes de presse. Débouté,
RSF a contre-attaqué par la publication d’une volumineuse
contre-enquête où il disculpait coûte que coûte
son poulain. Les dérives sont exactement les mêmes dans l’affaire
Theunis. En l’espèce, RSF n’est animé que d’une
seule et unique intention, celle d’éviter les poursuites
judiciaires contre son « ancien correspondant au Rwanda ».
Vus les mensonges diffusés dans l’affaire Guy Theunis, j’en
tire la conclusion que, non seulement RSF ment en ce qui concerne le Rwanda,
mais aussi rien ne me garantit que les mêmes errements ne se retrouvent
pas dans les autres cas de journalistes « persécutés
ou tués pour la liberté de presse ». Qu’est
ce qui me convainc désormais, que ce que publie RSF sur l’assassinat
du journaliste burkinabè Norbert Zongo, pour ne prendre que ce
cas médiatisé, ne relève pas de la même dérive
diabolisante que celle enregistrée dans l’affaire Theunis
? Et si RSF nous racontait, pour tous les autres cas rapportés
et répertoriés sur son site et dans ses rapports, les mêmes
saloperies que ce qu’il dit et écrit sur Guy Theunis ?
En définitive, à la lumière des déclarations
et des écrits de RSF sur l’affaire Guy Theunis, il apparaît,
sans l’ombre d’un doute, que l’on ne peut plus faire
confiance à Reporters Sans Frontières qui, dans le cas d’espèce,
mêle le vrai à l’à-peu-près, à
l’erreur, au mensonge et finalement à la calomnie. Le discrédit
systématique que RSF érige en règle d’or à
l’encontre des témoins à charge équivaut à
l’occultation de la vérité. Et cela n’est pas
de l’information, c’est plutôt de la propagande à
laquelle il convient de mettre un point final.
En raison du droit à l’information, vraie et juste, sur l’affaire
Theunis, comme sur tant d’autres, RSF devrait sortir de son obscurantisme,
de son aveuglément, pour s’informer sans parti-pris, sans
préjugés sur les témoins, sans animosité contre
le FPR et les autorités rwandaises. D’urgence, RSF devrait
cesser de suspecter de motifs infâmes des témoins à
charge, au seul prétexte qu’ils disent des choses qui lui
déplaisent. Dans cette affaire, la vérité c’est
que, dans tout génocide, il y a des concepteurs, des planificateurs
qui sont placés au sommet de l’appareil d’Etat. Tout
génocide a aussi ses parrains[10]. Guy Theunis fait partie de ces
derniers. RSF ne le sait que trop. Même s’il ne l’avoue
pas.
Dr BIZIMANA Jean Damascène / 6 novembre 2005
Notes:
[1] Voir site web de Reporters Sans Frontières : www.rsf.org
[2] Reporters Sans Frontières, « Le Père Theunis classé
parmi les incitateurs et les planificateurs du génocide »,
Communiqué de presse, 11 septembre 2005. Voir aussi www.umuco.com,
article du 13 septembre 2005
[3] ANB/BIA, Bulletin des Missionnaires d’Afrique, n° 326, 15
Juin 1997, p. 15
[4] J.-P. CHRETIEN utilise cette expression dans un texte pionnier sur
l’étude de la genèse du racisme au Rwanda intitulé
: « Les fratricides légitimes », ESPRIT, n° 12,
décembre 1976, pp. 822-834.
[5] Jean NDORIMANA, Rwanda, l’Eglise catholique dans le malaise,
Edizioni Vivere in, Roma, 2001, p. 113.
[6] Cité par Colette BRAEKMANN, Rwanda, Histoire d’un génocide,
Paris, Fayard 1994, p. 143
[7] Rapport RSF, p. 9
[8] Ibidem, p. 10
[9] Robert MENARD, Libération, 30 septembre 2005
[10] Lire Yves TERNON, L’Etat criminel. Les génocides au
XXème siècle, Paris, Seuil, 1995.
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