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Génocide
rwandais : La presse française au ban des accusés Entretien avec Jean-Paul Gouteux http://dominionpaper.ca/francais/2005/08/17/genocide_r.html
Le rapport de la Commission d'enquête
citoyenne sur le rôle de la France durant le génocide rwandais
L'horreur qui nous prend au visage est paru en mars dernier. Il dénonce
entre autres l'implication française sur le plan médiatique.
Le Dominion : La plupart des médias français ont décrit dans un premier temps le conflit rwandais de 1994 comme le résultat de l'exacerbation d'un antagonisme culturel et séculaire entre Hutus et Tutsis. D'un point de vue religieux, social, linguistique et historique, peut-on dire que Hutu et Tutsi font parties de deux ethnies distinctes ? Jean-Paul Gouteux : Hutu et Tutsi sont des catégories
sociales, déterminées autrefois par leur activité
socioprofessionnelle : élevage pour les Tutsi, agriculture pour
les Hutu. Ils parlent la même langue et ont la même culture.
Aujourd'hui cette distinction en agriculteurs et éleveurs n'a plus
de sens. En revanche la vision racialiste des administrateurs coloniaux
allemands, puis belges et surtout de l'Église catholique s'est
peu à peu imposée. Ces catégories ont été
reprises par les colons belges, racialisées et inscrites sur les
cartes d'identités rwandaises. Monseigneur Perraudin, représentant
le Vatican au Rwanda, parlait des « races » hutu et tutsi.
Il fut l'un des initiateurs d'une « révolution » sur
fond ethnique qui à conduit aux premiers massacres de la population
civile tutsi au début des années soixante. Historiquement, les guerres qui ont permis d'agrandir le royaume du
Rwanda tout au long des siècles, opposaient l'armée rwandaise,
comprenant Tutsi, Hutu et Twa à d'autres armées des différents
royaumes de la région. La tradition des conflits entre Hutu et
Tutsi, présentée trivialement comme l'explication du génocide,
n'existe tout simplement pas, elle n'est qu'un des ingrédients
de la propagande servant à attiser ces conflits. Le soi-disant conflit ethnique fut donc une construction idéologique
servant les fins politiques du gouvernement et des extrémistes
de l'époque ? La vision racialiste des colonisateurs a fini par être totalement
intégrée par les intellectuels rwandais et certainement
beaucoup moins par le menu peuple. Si les dirigeants pouvaient organiser
périodiquement des séries de pogromes antitutsi en exacerbant
la haine ethnique, c'est parce que nombre d'intellectuels hutu l'acceptaient
et trouvaient là le moyen d'entretenir leur conviction et leur
bonne conscience. Ce sont en effet ces intellectuels qui bénéficiaient
de l'exclusion des Tutsi de la compétition pour les postes administratifs.
Le jeu est donc complexe entre la manipulation du racisme par le pouvoir
- qui permettait d'occulter les problèmes sociaux en désignant
un bouc émissaire - et l'acceptation ou la surenchère de
ceux qui en tiraient de petits privilèges. Des victimes rwandaises du génocide ont
même saisi la justice française de plainte contre X. Pensez-vous
sincèrement que des responsables français, politiques ou
militaires, puissent un jour être jugés et que la France
fassent des excuses publiques aux victimes du génocide ? Je suis intimement persuadé que la vérité sur un
génocide ne peut être totalement occultée. Le phénomène
est trop grave et fait appel à une conscience universelle, celle
de l'humanité tout entière. Ceux qui pensent que leurs turpitudes
politiques, parce qu'elles se déroulaient dans « le trou
noir » de l'Afrique, « au cœur des ténèbres
» pour reprendre l'expression de Joseph Conrad, serait à
jamais méconnu, se trompent. Cette plainte de victimes rwandaises est donc d'une importance fondamentale. Nous verrons bien dans la suite qui lui sera donnée où en est l'information et l'état des consciences en France sur ce drame, à la fois des juges et de la population. Mais il y en aura d'autres, comme il y aura d'autres révélations, toujours plus embarrassantes pour l'État français. Dix ans après le génocide et autant
d'années de dénonciation de la part des victimes et des
associations militantes, la gravité de la complicité française
commence seulement à faire surface. Les médias sont-ils
pour beaucoup dans la lenteur de la sensibilisation du public et des politiques
? Pour ce qui concerne l'Afrique, il y a une tradition journalistique
qui est de limiter l'information aux clichés ethniques, sans aucune
analyse digne de ce nom et surtout de répercuter la politique africaine
de la France sans aucune critique. Les médias français ne
s'intéressent jamais aux questions de fond sur l'Afrique. L'image
cultivée est celle de l'ethnicité et du tribalisme, c'est-à-dire
qu'ils ne parlent que de la forme et des moyens de ces manipulations politiques,
jamais des manipulations politiques en elles-mêmes. En France les
médias restent obéissants et l'opinion est toujours sous
contrôle. Cela peut changer. Il faut que l'opinion européenne s'émancipe de l'expertise
française en ce qui concerne l'Afrique. On peut considérer
deux cas de figure : ou l'Europe refuse l'hégémonie des
dirigeants français sur la politique africaine et constituera le
moteur du changement de l'opinion publique française, ou nos spécialistes,
les diplomates et leurs officines, parviennent à la contrôler,
ce qui serait un scénario catastrophe que l'Afrique payerait très
cher. En 1994, on était en plein dans ce schéma de désinformation
larvée. Il est rétrospectivement accablant, devant l'horreur
et la dimension du drame qui s'est déroulé pendant trois
mois au Rwanda, de relire la presse française de cette époque.
La couverture a été minimaliste. Certes, la responsabilité
de la presse a été ainsi engagée. Il y avait au moins
deux façons d'empêcher le drame. La première était
de révéler l'ampleur du crime dès avril 1994 et ainsi
de susciter un mouvement d'opinion pour arrêter l'intolérable.
La seconde était de révéler l'implication des autorités
françaises, qui auraient alors été obligées
de bloquer leurs alliés génocidaires. Ni l'un ni l'autre
n'a été fait. La presse et les autres médias français
ont été au-dessous de tout, restant fidèles à
leurs habitudes sur l'Afrique. Citons un exemple assez récent, un entretien avec le rédacteur
en chef de La lettre du Continent paru dans le journal contestataire français
Charlie Hebdo du 23 février 2005 et dont le titre résume
l'essentiel du message de désinformation : « La France n'a
plus les moyens de jouer les bons pères de famille en Afrique ».
La Lettre du continent est une publication bien renseignée, trop
bien même, de toute évidence très proche des services
secrets français et pour cela très prisée dans les
milieux de la « Françafrique ». Il semble aujourd'hui que la situation change lentement, mais sûrement.
Ainsi la répression du pouvoir togolais contre la population civile
qui s'oppose à son hold-up électoral ne passe plus comme
une lettre à la poste. Même RFI ne semble plus totalement
contrôlé par le pouvoir chiraquien, l'information est beaucoup
plus objective et les journalistes de cette radio ont protesté
contre la suppression du site Internet de RFI et des informations qui
contrevenaient au soutien que Paris apporte toujours à la dictature
togolaise. Dans votre livre, Le Monde, un contre-pouvoir ?, vous critiquez sévèrement les méthodes de désinformation et de manipulation sur le génocide rwandais, et notamment l'attitude malhonnête des envoyés spéciaux de l'époque. Vous dites entre autres que « Le Monde, en tant qu'instrument docile [de la politique française de collaboration avec le Rwanda] a sa part de responsabilité dans l'incompréhension des Français et leur passivité devant l'horreur qui s'accomplissait ». Les conclusions provisoires de la Commission d'enquête
citoyenne sur les médias et idéologies nuancent leurs accusations.
Je cite : « La plupart des envoyés spéciaux ont fait
leur travail et rapporté les faits (...), ils n'ont pas déguisé
la responsabilité de la France depuis 1990 », puis «
Cependant, certains de ces envoyés spéciaux, des éditorialistes
et des rédactions parisiennes ont eu tendance à répercuter
le discours de diabolisation du FPR (...) ». Souscrivez-vous à
cette analyse des faits ? Pas exactement. D'abord je ne pense pas qu'il y ait une « responsabilité
de la France ». Il s'agit de diverses responsabilités de
dirigeants français, politiques et militaires, engagés dans
une étroite collaboration avec un État pré-génocidaire,
puis génocidaire. Parler de « La France » évite
simplement d'avoir à les identifier et d'avoir à analyser
les responsabilités de chacun. L'utilisation de cette expression
globalisante évite l'analyse et révèle clairement
les limites de cette commission, ou plutôt l'intention de certains
de ses membres, notamment ceux qui ont travaillé sur le dossier
médiatique. Mais heureusement les faits sont là, et ce sont
eux qui ont eu le dernier mot. L'occultation médiatique du génocide a été
très consensuelle et s'est poursuivit jusqu'en 1998. Elle a été
brisée par la série d'articles de Patrick de Saint-Exupéry
publiée dans Le Figaro au début de 1998. Ces articles ont
libéré la presse et provoqué immédiatement
la mise sur pied d'une Mission d'information par le pouvoir français
pour étouffer le scandale. Il y a évidemment des nuances
sur la responsabilité de la presse. Relever comme je l'ai fait
la désinformation dans un journal comme Le Monde n'empêche
pas de reconnaître qu'il y a d'excellents journalistes dans ce journal
et qu'il s'y écrit de très bons articles. Pensez-vous également que la désinformation a
pour origine une discordance des points de vue entre journalistes et rédactions
ou bien qu'il s'agit d'un problème de méconnaissance du
contexte historique, social et politique des évènements
de l'époque de la part des journalistes ? Il est clair qu'il existe un journalisme de connivence et une indécente
proximité entre hommes politiques et hommes de médias, c'est-à-dire
journalistes, rédacteurs en chefs, directeurs et propriétaires.
La connivence entre Le Monde et le chef des services français,
la DGSE, est même apparue au grand jour de l'aveu même du
directeur de la DGSE, Claude Silberzahn. Il écrit que le directeur
de ce journal, Jean-Marie Colombani, et son spécialiste militaire,
étaient « ses amis » avec qui il « complotait
» quelques bons coups médiatiques. Mais d'autres journalistes évitent de rentrer dans ce jeu, dangereux
pour la liberté, avec les officines du pouvoir. Corinne Lesnes
par exemple a écrit dans Le Monde, en 1994 de très bons
articles, s'engageant dans l'analyse et apportant ainsi des éléments
indispensables pour la compréhension de la crise. Disons aussi,
et je le tiens d'une amie commune, qu'elle a été censurée
par sa rédaction au point d'en pleurer. Il en est de même pour Agnès Rotivel, journaliste au journal
chrétien La Croix. Elle l'explique très bien elle-même
: « Le problème s'est posé avec la rédaction
lorsque j'ai ramené un papier sur l'Église au Rwanda, (…)
La Croix n'a pas été capable d'assumer cela jusqu'au bout.
C'était un article qui s'appuyait sur des faits réels [évoquant
notamment Monseigneur Perraudin]. (…). J'étais très
furieuse. Je lui ai dit [au rédacteur en chef] qu'il fallait faire
très attention, que l'on avait affaire à des prêtres
et que cela arrangeait tout Le Monde de voir les problèmes à
travers l'ethnie. Cela arrangeait le gouvernement français et l'Église.
Il ne s'agissait que d'une histoire de Tutsi et de Hutu. (…) Mon
texte est passé pendant que j'étais absente. Le responsable
du service religieux a censuré mon papier d'environ deux tiers.
» Tous les journalistes n'ont hélas pas
eu la même probité. Jean-Paul gouteux est entomologiste à l'Institut français de Recherche pour le Développement (IRD). Il est l'auteur de trois ouvrages majeurs et de nombreux articles sur le génocide rwandais.
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