Journal l'Humanité

Rubrique Médias
Article paru dans l'édition du 3 septembre 2004

Rwanda : les responsabilités françaises en question

François Rutayisiré, ancien responsable du Front patriotique rwandais, explique le rôle de la France dans le génocide.

Quelles sont les responsabilités de la France dans le génocide de 1994 ?
François Rutayisiré. Elles sont de plusieurs natures. Bien avant le génocide, la France est intervenue au Rwanda dans le cadre d’accords de coopération militaire. Assez vite, on s’est rendu compte que le régime rwandais était ethniste. Il ne se battait pas uniquement contre ce qu’il estimait être une agression du Front patriotique rwandais (FPR), il exterminait une partie de sa population. Pourtant,leslivraisons d’armes et l’envoi de soldats français ont continué avant et pendant le génocide. À certains moments, on a même vu des responsables militaires français intégrés dans le commandement de l’armée rwandaise. Il semble que, même après, des contacts ont été maintenus avec les responsables politiques du génocide. Au niveau diplomatique, la France a appuyé le gouvernement, qui préparait et commettait le génocide, dans les arènes internationales. Elle recevait à Paris des responsables politiques, dont certains sont aujourd’hui devant le tribunal international d’Arusha. L’appui était aussi financier.

Comment expliquez-vous cet engagement ?
François Rutayisiré. Il y a plusieurs hypothèses. Il est difficile de penser qu’une seule d’entre elles puisse expliquer un tel engrenage. On a évoqué le syndrome de Fachoda qui poursuivait la France mais je pense que ce qui a été déterminant, c’est la volonté de puissance, une volonté de puissance à tout prix. L’idée que dans un pays d’Afrique on puisse remettre en cause un pouvoir soutenu par la France semblait impensable. Et puis comme la vie sur le continent africain n’a pas la même valeur qu’ici, certains se sont dit que ce n’était pas grave si ça devait coûter des centaines de milliers de vies africaines. Il y avait certainement aussi des dirigeants français qui avaient une vision de la démocratie qui correspond à de l’ethnocratie. Pour eux, puisqu’il y a une ethnie démographiquement majoritaire, le pouvoir lui revient forcément.

Que pensez-vous de la position de la France aujourd’hui ?
François Rutayisiré. La France officielle a du mal à admettre le rôle qui a été le sien au Rwanda. C’est tellement "gros" et gênant qu’il y a un consensus plus ou moins politique pour ne pas reconnaître la réalité. Pour l’opinion publique française, le Rwanda, c’est trop loin. Déjà l’Afrique, c’est loin. Sur le moment, il y a eu une émotion forte mais une émotion médiatique. Et je doute qu’il y ait eu un questionnement adéquat pour essayer de comprendre pourquoi et comment c’est arrivé. Pourtant une partie de l’opinion, certains médias et certaines associations ont essayé d’améliorer la perception de ce drame. Malgré la chape de plomb sur le dossier rwandais, quelque chose dans l’opinion a bougé au moment du dixième anniversaire du génocide. Au Rwanda, les gens étaient agréablement surpris de voir que des Français pouvaient mettre en cause le rôle de leur pays. Pour eux, c’est un baume au coeur parce qu’il y a un sentiment de déni total. Si ça pouvait continuer, à la longue, peut-être que ça pousserait les officiels à reconnaître la réalité. Cinquante ans après, la France officielle, par l’intermédiaire de son président, a reconnu le rôle de la France dans le génocide juif. Espérons que, pour le Rwanda, ça ne prendra pas autant de temps. Tant que la vérité ne sera pas reconnue, les victimes rwandaises auront toujours ce sentiment de déni, d’injustice. Et les Français continueront de porter le poids des fautes non reconnues. Peut-être que ce n’est pas ce que pensent les officiels mais l’honneur de la France ne perdrait rien à reconnaître la vérité, au contraire.

Propos recueillis par Camille Bauer

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