AFRIKHEBDO - n°1 Semaine du 08 au 13 mars 2004

QUAND LE MONDE DEVIENT CORRESPONDANT DU JUGE BRUGUIERE

Alors que l'Union Européenne louait les "efforts" rwandais de normalisation avec Kinshasa avec la réouverture récente de l'ambassade rwandaise à Kinshasa, que Kagame entamait à Bruxelles une visite officielle de trois jours en Belgique et auprès des institutions européennes, Le Monde , à la veille de la commémoration du génocide au Rwanda, publie un brûlot accusateur inspiré de l'enquête du juge Bruguière envers le régime en place à Kigali [1] .

Le Négrologue Stephen Smith, dans l'édition du Monde du 9 mars, révèle que le rapport final de l'enquête du juge anti-terroriste français, Jean-Louis Bruguière, désigne l'actuel président Paul Kagame comme le principal "décisionnaire" de l'attentat contre l'avion d'Habyarimana le 6 avril 1994 [2] .

L'impact médiatique de ces articles a été particulièrement important dans le monde francophone au point que Kagamé lors de sa visite en Belgique, s'est vu recevoir très tièdement par le roi Albert II tandis que l'orchestre national jouait l'hymne de l'ancien régime rwandais et qu'une partie de la foule scandait : «  Vive la France, Vive Mitterrand !  » avec des pancartes où étaient inscrit «  Kagamé responsable du génocide  ». Au travers de ses relais traditionnels, la Françafrique vient donc de déclarer la guerre médiatique du 10 ème anniversaire du génocide. La sortie du rapport Bruguière apparaît trop opportune pour qu'il soit considéré comme au-dessus de tout soupçon [3] .

Qu'y apprend-on?
1. que la boîte noire du Falcon d'Habyarimana serait détenue par l'ONU dans le plus grand secret.
2. Que des dissidents du FPR, accuseraient Kagamé et son régime d'avoir tiré sur l'avion présidentiel des missiles de type SAM-16 faisant partie d'un lot vendu par l'union soviétique à l'Ouganda.
1. Concernant la boîte noire, les dirigeants de l'ONU dans un premier temps se sont montrésincrédules :

«  Je suis surpris qu'on dise que l'ONU a la boîte noire parce qu'on n'a pas intérêt à empêcher des investigations ni le processus judiciaire ». Koffi Annan

« Nous ne faisons aucune obstruction à cette enquête. Il est ridicule d'affirmer que nous cachons la boîte noire de l avion au quartier général ou où que ce soit. Je n'attribuerai aucune crédibilité à ces informations  ». Fred Eckhard.

Puis au lendemain de ces déclarations on découvrait la boîte noire soigneusement rangé dans un placard de l'ONU où elle dormait depuis 10 ans. Fred Eckhard stupéfié est revenu sur ces propos tandis que Koffi Annan a demandé une expertise et une enquête interne sur le cheminement de cette boîte noire. Cette boîte noire que l'on nous présente comme la boîte de pandore aurait été livré par les FAR (forces Armées Rwandaises) probablement sous le regard bienveillant de militaires français à l'ONU il y a 10 ans. Colette Braeckman en parlait déjà dans son livre Rwanda, Histoire d'un génocide (Ed. Fayard, p. 176): « Très rapidement la garde présidentielle, en compagnie de coopérant militaires français, dont le commandant de Saint-Quentin, membre de la mission d'assistance militaire, se précipite vers l'épave. Le 10 avril, lorsque les militaires français viennent rechercher les corps des trois membres de l'équipage, le major Jacky Heraud, le commandant Jean-Pierre Minaberry et l'adjudant-chef Jean-Marie Perrinne, le commando tente également de retrouver l'enregistreur des voix dans le cockpit, l'enregistreur des paramètres de vol, ainsi que les indices permettant de déceler la nature du missile.

Des photos montrant le commandant de Saint-Quentin recueillant divers objets et documents, dont peut-être la boîte noire de l'avion ». Mais la boîte noire ne nous apprendra rien sur les terroristes ayant perpétré cet attentat.

2. Il faut donc se consacrer aux déclarations de Ruzibiza selon lequel des «  network commando  » auraient été chargés d'effectuer la sale besogne par le FPR. Colette Braeckman, éditorialiste du quotidien belge Le Soir et excellente connaisseuse du dossier, révèle les liens étroits unissant Ruzibiza et la DGSE : «  A Kampala, Ruzibiza fut mis en contact avec la DGSE (les services français de la sécurité extérieure) et en 2003 il fut même question de le faire participer à une offensive menée par les FDLR ("Forces démocratiques pour la libération du Rwanda", mouvement d'opposition armé au régime de Kigali), offensive qui aurait eu lieu au moment où l'opération "Artemis" se déployait à Bunia et bloquait les rebelles pro-rwandais de l'UPC (Union des patriotes congolais). Le président ougandais Museveni s'étant opposé à cette opération, Ruzibiza, aujourd'hui réfugié en Norvège, fut envoyé à Paris où, protégé par la DGSE, il collabora à l'enquête du juge Bruguière . » [4]

Selon l'OBSAC, les faits rapportés par le Négrologue du Monde concernant l'enquête du juge Bruguière reprennent essentiellement le récit du transfuge du FPR, Jean-Pierre Mugabe (publié en avril 2000 sous le titre de Moi, Jean-Pierre Mugabe, accuse Paul Kagame d'être l'auteur de l'attentat contre l'avion d'Habyarimana, par un think-tank conservateur de Washington D.C. : l'International Strategic Studies Association) [5] .

Il n'y aurait rien de nouveau dans ce dossier si ce n'est les déclarations de Ruzibiza qui corroboraient l'hypothèse de Mugabe. Quant aux missiles SAM 16 évoqués par le juge Bruguière s'ils innocentent les FAR, ils ne disculpent pas plus le FPR que les instructeurs militaires français. Pour Gérard Prunier ( Rwanda, le génocide , Ed. Dagorno) «  Les FAR ne sont dotées que d'un seul type de missiles, les anti-char français "Milan", très efficaces contre les véhicules au sol mais totalement inutile contre un avion en vol. Les missiles utilisés dans l'attentat sont soit des "Stingers", de fabrication américaine, soit plus vraisemblablement, des SAM7, de fabrication russe ou les modèles plus sophistiqués SAM-16, que l'on trouve facilement sur le marché des rames international. Les deux, d'un emploi relativement facile, demandent cependant un opérateur entraîné et le personnel des FAR ne sait tirer que des "Milan". D'où la possible nécessité d'engager des techniciens extérieurs (Jean-François Dupaquier évoquait l'utilisation de roquettes RPG dans un article de l'Evènement du Jeudi ). » (p.266).

Propos corroborés par Colette Braeckman (Ibid, p. 176) «  Tous les témoins qui, de près ou de loin, ont assisté au lancer des roquettes sont formels : la précision du tir ne peut qu'être l'oeuvre de professionnels, des étrangers vraisemblablement car aucun militaire rwandais n'a jamais été formé à une telle technique et l'armée nationale ne dispose pas de missiles dotés d'un système de détection à infra-rouge. En outre l'appareil était pourvu d'un leurre permettant de déjouer le premier tir. Pour faire mouche, il fallait donc très vite, avant que le dispositif ne se remette en place, tirer un second coup. Ce qui fut fait, à la seconde près, par des tireurs qui connaissaient vraisemblablement le système de défense de l'avion  » Et l'on se souviendra du rôle trouble de Paul Baril, proche du gouvernement intérimaire à Kigali en avril 1994, à un tel point que la Mission d'information parlementaire a refusé de l'auditionner. Pourtant n'était-ce pas lui qui exhibait une fausse boîte noire le 28.06.1994 à France2 ? N'a-t-on pas vu deux militaires français roder dans les parages la nuit du 6 avril 1994? (Colette Braeckman, « L'avion rwandais abattu par deux Français ? »; Le Soir , du 17 juin 1994)

Selon Dallaire, ce serait des membres des FAR qui auraient organisé l'attentat. Dans son livre J'ai serré la main du diable Roméo Dallaire corrobore une autre thèse celle d'une responsabilité des extrémistes hutus (entraînés par les instructeurs français) en soulignant «  qu'il s'agissait aussi d'un coup d'Etat soigneusement planifié qui a mené à la prise de pouvoir par les milieux extrémistes hutus. Ces derniers considéraient que le président ne maîtrisait plus la situation, qu'il avait fait trop de concessions et surtout celle d'accepter que le FPR participe au pouvoir. Depuis longtemps, le juge Bruguière s'est attelé à démontrer que le FPR est responsable de l'attentat. Aucune enquête officielle internationale n'a cependant été diligentée jusqu'ici. Celle du juge français est révélée à point nommé. De nombreuses voix mettent en cause la responsabilité française  » [6] .

On espère que le débat lancé par Le Monde bien que de manière partiale permettra de révéler toute la vérité sur cet attentat sans occulter la responsabilité des génocidaires du GIR et de leurs complices français.

Reste que cette fuite en dit long sur l'état d'esprit d'une partie des dirigeants français qui continuent à ne pas pardonner à Kagame, anglophone, d'avoir pris le pouvoir au Rwanda. Ces révélations ne vont pas améliorer les relations entre Paris et Kigali [7] .


OPERATION ARTEMIS , TURQUOISE BIS REPETITA?

Les réactions dans les médias ces derniers jours aux articles du Monde vont sans doute aider les langues à se délier et à faire la lumière sur bon nombre de faits occultés jusqu'alors. Ainsi on apprend dans Le Soir que le véritable moteur des opérations humanitaro-militaires lancées par la France dans la région de l'Ituri (nord-est de la RDC) visait à stopper l'avancée des forces pro-rwandaises et à contrôler militairement Bunia capitale de l'Ituri. «  La publication d'éléments de l'enquête du juge Bruguière relève aussi de la guerre larvée que se livrent la France et le FPR depuis dix ans, sinon depuis 1990, et qui s'est poursuivie jusqu'à Bunia, dans l'Ituri congolais, où les 1.500 soldats français de l'opération "Artémis" ont bloqué les milices pro-rwandaises qui voulaient contrôler la frontière avec l'Ouganda  » [8] .

Il fut même envisager de faire participer le fameux Ruzibiza à une offensive menée par les FDLR (« Forces démocratiques pour la libération du Rwanda », mouvement d'opposition armé au régime de Kigali), «  offensive qui aurait eu lieu au moment où l'opération "Artemis" se déployait à Bunia et bloquait les rebelles pro-rwandais de l'UPC (Union des patriotes congolais). Le président ougandais Museveni s'étant opposé à cette opération, Ruzibiza, aujourd'hui réfugié en Norvège, fut envoyé à Paris où, protégé par la DGSE, il collabora à l'enquête du juge Bruguière . » [9]

Ces faits étaient déjà signalés par Jean-Paul Gouteux dans Amnistia.net «  Ce sont les mêmes militaires des RPIMa qui récemment ont dévoyé la Mission d'intervention européenne Artémis au Congo Kinshasa (en 2003). Pendant leur intervention, ils ont laissé massacrer des centaines de personnes en l'Ituri appartenant au groupe Héma, qu'ils assimilent aux Tutsi, désarmant en revanche unilatéralement l'Union du Peuple Congolais (UPC) qui représente ce groupe. En partant ils ont remis ces armes à l'Ouganda, régime qui arme les milices hostiles à l'UPC c'est gratuit, il n' y a aucun intérêt français à défendre ici. C est l'idéologie de ce groupe, ses rancunes et ses traditions qui s'imposent . » [10]


QUAND BRUGUIERE ENQUÊTAIT SUR L'ATTENTAT DU DC 10 DU VOL UTA 772

Nous illustrerons cet article par le récit de Pierre Péan dans Manipulations africaines. qui sont les vrais coupables de l'attentat du vol uta 772 ? , époque où Péan n'avait pas encore été complètement coopté par la françafrique. Il s'agit du DC 10 français ayant explosé au-dessus du désert du Ténéré, causant 170 morts, le 19 septembre 1989. Selon Pierre Péan, le juge Bruguière a orienté l'enquête de manière intentionnellement erronée sur demande de l'appareil d'Etat pour accuser à tort la Libye et disculper l'Iran et la Syrie véritable auteur de l'attentat via le Hezbollah : «  Mais la désignation du bouc émissaire libyen n'a pas soulagé seulement les Etats-Unis, elle a constitué une aubaine pour quelques hommes politiques français empêtrés dans de délicates transactions clandestines afin de faire libérer nos otage au Liban contre promesses faites à l'IRAN et au Hezbollah  » (4 ème de couverture).

Manipulations Africaines; Qui sont les vrais coupables de l'UTA? Pierre Péan. Ed. Plon [11]

Et Péan de donner les sources de la DGSE et de la DST dans son enquête (p.64).

«  Mi-juillet 90, l'antenne de la DGSE française au Congo obtient une copie du rapport 0096 de la sécurité militaire congolaise et le fait remonter à Paris. Claude Siberzahn , le patron des services spéciaux, remet le rapport à Jacques Fournet, le nouveau patron de la DST…en présence de Pierre Joxe, le ministre de l'intérieur. La DGSE est très réservée sur ce rapport et ses conclusions. Elle s'étonne par exemple des liens directs qui apparaissent entre diplomates et terrorises, de l'absence de filières de protection qui permet de remonter aussi facilement aux commanditaires…Et surtout, elle ne voit pas de motif à cet attentat puisque le vieux contentieux entre la France et la Libye, à propos du Tchad (la contestation sur la bande d'Aouzou) avait été réglé sous ses auspices, le 31 août 1989, soit dix-huit jours avant l'attentat. La DST exprime ses plus vives réserves sur ce dossier en en soulignant toutes les contradictions et les erreurs. Yanga a égréné des vérités différentes au fur et à mesure des entretiens musclés qui se sont déroulés à La Séurité, a accepté de faire porter la responsabilité d'un détournement d'avion aux Libyens alors que cette opération avait été montée par le Hezbollah, a acoquiné le terrible Abou Nidal avec Abdalla Elazrag. Il a en effet été très facile de vérifier que de très nombreuses affirmations essentielles faites par Yanga sur la préparation de l'attentat sont tout simplement fausses.  »

« Bruguière tient enfin son affaire : un bel attentat, livré clés en main, qui conduit tout droit au diable en personne, le colonel Khadafi. Il tient à partager sa joie avec Alain Marsaud, ancien responsable de la section antiterroriste du parquet de Paris, devenu collaborateur du sénateur Charles Pasqua, et il la partage également avec Jean-Marie Pontault, grand reporter au Point ». (p.66)

« Avec le recul, il est effectivement intéressant de souligner la piste libyenne s'est imposée au même moment dans les deux dossiers, Lockerbie et le DC10 UTA, alors que dans les deux cas, tous les services de renseignements occidentaux privilégiaient l'implication du FLP-CG. Dans les deux cas, une preuve scientifique confortait l'implication d'Ahmed Jibril : le Toshiba pour Lockerbie, la valise d'Abou Ibrahim pour le DC10 »(p.68)

« Dans le Figaro , Bernard Morrot parle de l'existence d'un consensus franco-américain, discret mais efficace, sur la nécessité d'absoudre Damas » (p.70).

Lire aussi le rapport de la FIDH ( La Lettre n°271) de janvier 1999 au sujet de ce juge et de «  la porte ouverte à l'arbitraire  ». «  Il est bien évident que M. Bruguière se complaît sous les feux des médias et, de temps à autre, il a été photographiés sur la scène de la "rafle". On peut se demander qui a renseigné les photographes sur l'heure et l'endroit de opérations. Et qui se préoccupera plus tard de l'effet que la présence sur les lieux d'un personnage aussi important aura sur l'esprit du lecteur ou du spectateur ?  » Le rapport parle aussi des interrogatoires «  menées de façon irrégulière et très fréquemment décousue sur de longues périodes. Des délais invraisemblables s'écoulent avant que les dossiers soient bouclés et renvoyés devant le procureur  ». La FIDH déplore «  l'utilisation dans les dossiers d'informations et d'allégations préjudiciables, mais bien souvent sans fondement  ».(p.77)


Notes:

[1] http://www.lesoir.be/rubriques/mond/page_5179_199015.shtml
[2] http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3210,36-356014,0.html http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3210,36-356263,0.html
[3] http://survie67.free.fr/Rwanda/Divers/attentat.htm http://www.survie-france.org/article.php3?id_article=414
[4] http://www.lesoir.be/rubriques/mond/page_5179_199015.shtml http://www.lesoir.be/rubriques/mond/page_5179_198682.shtml
[5] http://www.obsac.com/OBSV3N16-DOSattentHabyari.html
[6] http://www.lesoir.be/rubriques/mond/page_5179_198682.shtml
[7] http://www.liberation.fr/page.php?Article=184859
[8] http://www.lesoir.be/rubriques/mond/page_5179_198682.shtml
[9] http://www.lesoir.be/rubriques/mond/page_5179_199015.shtml
[10] http://www.amnistia.net/news/articles/negrwand/negrwand.htm
[11] http://www.chapitre.com/frame_rec.asp?quicksearch=Manipulations+africaines&SID=54550b38-cc7c-1730-a879-c76cad5c26ad&TTL=140320042355&Origin=FnacAff&donnee_appel=FNAC&source=ALL&UID= 0cedbada1-34c0-8501-61e7-4489d539d18d&pid=FNAC

Autres liens sur le même sujet :

« Les preuves trafiquées du terrorisme libyen »
http://www.monde-diplomatique.fr/2001/03/PEAN/14934
http://www.congo-resistance.org/attentatdc10.html

http://nuit.rwandaise.free.fr