FILIP REYNTJENS ET LE RWANDA

Quand un Rwandais conteste la crédibilité de Filip Reyntjens sur le Rwanda, le professeur-expert, désormais vedette médiatique, parle de « character assassination », voulant dire par là qu'on attaque sa personne et non ses arguments. Mais comment comprendre les idées d'une personne sans connaître sa personnalité et ses motivations ?

Une hargne durable

Filip Reyntjens (FR) est un ancien du Rwanda dans tous les sens du mot. Il y est arrivé comme jeune militant d'Amnesty International (AI) dans les années 70 et n'y est pas retourné depuis longtemps. Le passage par la fameuse organisation de défense des droits de l'homme a laissé pour longtemps à FR cette allure de militant soucieux de peser sur le destin de la société rwandaise, son objet de recherche.

Très tôt ce chercheur ambitieux d'influence énerva le président de la République d'alors, Juvénal Habyarimana. A FR qui contestait (déjà !) le projet de Constitution d'alors, Habyarimana, quelque peu irrité, fit répondre que ce juriste mécontent n'avait qu'à présenter son propre projet. Il s'adjoignit pour cela un collègue belge et ce qu'il appellerait « un Tutsi de service ». Habyarimane et son parti unique vécurent à l'aise sous cette armure constitutionnelle jusqu'à leur mort, victimes collatérales du génocide.

FR se défend d'avoir été le conseiller de Habyarimana. FR ne tardera d'ailleurs pas à démontrer qu'il en avait gardé peu de sympathie pour Habyarimana : avec un compère de sa Flandre natale il orchestra médiatiquement (déjà !) les révélations d'un journaliste rwandais sur l'existence d'escadrons de la mort dans l'entourage de Habyarimana. FR acquérait ainsi une réputation d'indignation morale qu'il saura au long des années faire fructifier.

Lorsque le Front Patriotique Rwandais (FPR) apparut à l'horizon, il y eut une tentative brève de séduction mutuelle. Il s'avéra assez tôt que le FPR était indocile à toute direction intellectuelle étrangère, surtout venant de l'ancienne puissance coloniale. Entre FR et le FPR il n'y eut jamais de cordialité. Le patriotisme du FPR voulait refonder la nouvelle société rwandaise sur ses bases culturelles séculaires, dont l'unité nationale par-dessus les « ethnies ». Un casus belli entre le FPR et FR !

L'important pour les Rwandais n'était pas de refuser à FR la direction intellectuelle de leur pays. Il était urgent d'écarter un homme, habile et intelligent, porteur d'un ethnisme qui avait divisé les Rwandais et venait de les mener au génocide. Et si un moment le Rwanda a décidé de ne plus accorder de visa à FR c'est qu'on n'invite pas à sa table un lépreux quand la lèpre vient d'emporter des membres de la famille. FR en conçut une hargne durable. Il mettra désormais tous ses moyens, qui sont considérables, et un acharnement infatigable à nuire au nouveau Rwanda.

Eloigné du Rwanda, FR se replia sur une expertise d'ouï-dire. Dans un Centre d'études des pays en développement, financé par la Coopération belge, il publie chaque année la liste des dirigeants rwandais avec leur label ethnique. De là FR distille sans relâche l'ethnisme à l'usage des Africains, ainsi que la haine du nouveau Rwanda et de son président, relayée par les médias.

Le fond du problème

Le refus de FR de collaborer avec le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) n'est pas un événement essentiel. Il a moins de poids que le papier, l'encre et le brouhaha médiatique qui le répandent. Le fond du problème est de savoir si le mandat du TPIR lui enjoint de poursuivre les membres du FPR qui auraient commis des actes répréhensibles au cours du génocide de 1994. La qualification des actes (génocide ? crimes contre l'humanité ? crimes de guerre ? etc..) est une autre question, que certains mettent une hâte suspecte à trancher, alors qu'elle appartient à l'autorité judiciaire compétente. FR n'en est pas, à notre connaissance.

L'interprétation du FPR est que le TPIR est un tribunal d'exception créé pour juger un fait exceptionnel (le génocide) et les actes qui l'ont préparé et accompagné. Le FPR ne se reconnaît pas auteur du génocide qu'il a été seul à arrêter, ni auteur d'actes en relation avec le génocide. Il convient de rappeler que, quand on est soucieux de justice, on peut certes présumer quelqu'un auteur, on ne peut le présumer coupable. Cela s'appelle la présomption d'innocence.

Si le FPR a commis des actes contraires aux lois de la guerre, pendant qu'il combattait le génocide, ces actes relèvent, comme partout et toujours, des tribunaux ordinaires. A ce sujet la pratique constante en Occident est éclairante. Au demeurant, l'interprétation du mandat du TPIR relève du débat ordinaire sur la lettre et l'esprit de la loi. Le FPR est prêt à un tel débat.

Les questions parasites

Il y a des questions parasites qui masquent le fond du problème. Il y a la recherche d'équilibre ethnique (Hutus – Tutsis) qui empoisonne l'atmosphère du TPIR, sous le déguisement d'une justice équitable. Il y a la contribution à l'éradication de l'impunité et la contribution à la réconciliation des Rwandais que des législateurs idéalistes ont cru devoir assigner à un tribunal qui a montré très tôt qu'il en était incapable pour avoir dilapidé dès le début son crédit moral. On peut enfin légitimement s'interroger sur la sérénité d'experts et de témoins qui se croiraient chargés de mission.

Quant à la justice du vainqueur, qu'on voudrait refuser au FPR pour des raisons prétendument ethiques, cela est une aberration. Les auteurs du génocide et les vainqueurs des génocidaires devraient-ils subir le même traitement de peur de faire une justice du vainqueur ? En situation normale le vainqueur dont la victoire a mis fin à un crime contre l'humanité mériterait la reconnaissance de l'humanité. Mais sommes-nous en situation normale ? Toutes ces questions parasites relèvent d'un autre sentiment que du souci de justice.

Qu'on nous entende bien !

Le « parti au pouvoir à Kigali » ne demande pas l'impunité. Si des membres du FPR ont commis des crimes, ils doivent passer devant un tribunal. Le FPR a jugé et puni certains de ses membres coupables d'actes contraires aux lois de la guerre. Il y eut en son temps des gens pour dénoncer l'excessive sévérité du FPR. Qu'on lui en désigne d'autres, ils seront jugés.

 

Servilien M. Sebasoni - Kigali, 15 Janvier 2005
ARI - Grands Lacs Hebdo

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