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Lettre au journal Le Monde suite à la publication de
l'article: Monsieur le médiateur du journal Le Monde Monsieur le rédacteur en Chef, Messieurs,
Des la première phrase le
ton est donné : « Beaucoup a été dit sur le génocide de
1994, qui a coûté la vie à quelques 800 000 rwandais ». On notera lartifice
qui revient à minimiser le génocide des Tutsi décrit pas ces mots « qui
a coûté la vie à quelques 800 000 rwandais ». Quelques
Rwandais donc, alors que lONU parle de plus dun million
de Tutsi et quune estimation réaliste, incluant le décompte des
jeunes enfants, rend ce nombre beaucoup plus proche dun million
et demi de victimes (Jean-Paul Gouteux, La Nuit rwandaise, Izuba-LEsprit
Frappeur 2002). Mais là nest pas lessentiel. On lit deux
paragraphes plus loin : « Dans la région des Grands lacs,
entre avril et août 1972, plus de 200 000 Hutu du Burundi ont été
exterminés par une armée composée en très grande majorité de Tutsi,
à la suite dune insurrection manquée ». On notera le
contraste des deux phrases, destiné à séquilibrer sur le plateau
dune balance à comparer les « conflits interethniques ».
Dun côté on oppose « quelques 800 000 Rwandais »
à « plus de 200 000 Hutu ». La précision ethnique
ignorée dans le cas du génocide des Tutsi et mis en avant pour celui
des Hutu. En doublant le nombre de victimes comme le fait habituellement
la propagande ethniste, alors que lONU parle de 100 000. Voici ce que dit le rapport
des Nations Unies, Conseil de sécurité, n° S/1996/682, du 22 août 1996,
en conclusion dune enquête internationale sur les événements de
1972 au Burundi : « En avril 1972, des Hutu formés à létranger
[au Rwanda, à lécole du Parmehutu] ont perpétré un massacre
de plusieurs milliers de Tutsi, hommes, femmes et enfants, dans la région
bordant le lac Tanganyika, dans le sud du pays, tandis que dautres
groupes armés tenteront dattaquer Bujumbura [la capitale du
Burundi], Gitega [la seconde ville du pays], et Cankuso. Le
régime de Micombero a répondu par une répression génocidaire qui aurait
fait plus de 100 000 victimes [ciblant lélite hutu]
et contraint à lexile plusieurs centaine de milliers de Hutu. »
(page 28). Il est donc officiellement
reconnu par lONU que cette répression génocidaire faisait suite
à une série de massacres à caractère également génocidaire. Ceci ne
justifie évidemment pas cette monstrueuse répression, pas plus quelle
ne lexcuse ! Cependant la désinformation distillée par lICG
est manifeste par la façon dont elle présente ces événements. Elle ne
fait que reprendre la propagande éculée des extrémistes hutu qui se
sont servi de cette propagande pour justifier tous les massacres de
Tutsi depuis cette date. Notamment pour le génocide doctobre 1993
au Burundi, génocide défini comme tel par cette même commission denquête
lONU : « Autant de considérations qui amènent la
Commission à conclure que les massacres systématiques dhommes,
de femmes et denfants tutsi sur les collines dans lensemble
du pays ne sauraient être mis sur le compte de réactions spontanées,
simultanées de la masse des agriculteurs hutu dirigées contre leurs
voisins. Le fait - établi par les éléments de preuves recueillis
que nombre de simples agriculteurs hutu aient pris part au massacre
ne peut être attribué quà lincitation de leurs dirigeants
et à lexemple donné par ces derniers, dont la présence et les
activités partout où les massacres ont été perpétrés sont attestées
pars des preuves surabondantes. » (page 105). Rien donc que des procédés
triviaux, classiques, de la désinformation ordinaire. On parle « dune
insurrection manquée » pour des massacres à caractère génocidaire.
Si le massacre sélectif des intellectuels hutu au Burundi est une horreur
sans nom que rien ne peut justifier, sa présentation tendancieuse est
inacceptable. En parler sans évoquer les massacres génocidaires de Tutsi
qui venaient dêtre organisés par des cadres hutu sinspirant
de la « révolution raciale » rwandaise nest pas un oubli
innocent. Cest reprendre une vision déformée de lhistoire,
une version intensément propagée par les extrémistes hutu rwandais et
burundais ainsi que par tous ceux qui les soutiennent. Je pense que nous ne pouvez
accepter que votre journal soit un organe de désinformation manipulé
par les officines du pouvoir ou par une ONG dont lalignement sur
les mêmes officines a été signalé à plusieurs reprises. Je vous prie
donc dinclure dans une prochaine édition un rectificatif à cet
article, rétablissant la vérité en donnant une information non tronquée
et objective. A défaut, il est clair que la publication de tels articles
ne contribue pas à limage que vous voulez donner de votre journal
et, au contraire, quil est le type même de ces informations biaisées
et tendancieuses que signalent historiens, journalistes et chercheurs
en sciences de linformation pour critiquer votre travail. Cordialement, Jean-Paul Gouteux Chercheur IRD Lire également: L'ICG dans Le Monde: Chroniques de la désinformation ordinaire (28/04/2004) |