Jean-Paul Gouteux, Docteur ès Sciences, est chercheur en entomologie médicale. Il a été coopérant au Kivu dans l'ex-Zaïre et a ensuite résidé et travaillé dans plusieurs pays d'Afrique. En France depuis 1994, il participe aux initiatives citoyennes pour faire la vérité sur le drame rwandais et milite contre la banalisation des génocides.


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Une interview de Jean-Paul Gouteux par iSo mEtRic (21 mars 2002)

Jean-Paul Gouteux, qui êtes-vous?

Je ne suis ni historien, ni journaliste. Je ne suis non plus africaniste, mais seulement " scientifique ", plus précisément biologiste. Je suis chercheur à l'Institut de Recherche pour le développement (IRD, anciennement ORSTOM), entomologiste médical et vétérinaire de formation. Ma spécialité : la transmission de la maladie du sommeil et l'écologie de son vecteur, la mouche tsé-tsé ou glossine. C'est ce travail m'a conduit pendant 17 ans à résider dans cinq pays africains (dans l'ex-Zaïre, au Burkina Faso, en Côte d'Ivoire, au Congo Brazzaville, en République centrafricaine). Cependant, où que je sois en Afrique, mon vrai pays c'est la brousse. Par goût bien sûr, mais surtout par nécessité : l'objet même de mes recherches m'oblige à être sur le terrain. Travailler sur l'écologie des tsé-tsé ou réaliser le dépistage des malades, cela signifie aller dans les villages, dans ces villages que l'ont dit " du bout de la piste ", difficilement accessibles, loin des centres médicaux. Là où la maladie du sommeil pose d'énorme problème de santé.

Pourquoi avoir écrit sur ces événements du Rwanda ?

Pourquoi ? C'est simple. J'ai pu savoir ce qui s'est passé en 1994, essentiellement pour des raisons familiales, ma belle-famille a fait partie des innombrables victimes de ce génocide. Nous avons pu avoir quelques contacts téléphoniques tout au début. Ensuite ce fut le black-out. Tous ont été exterminés, à l'exception de mon beau-frère Basile Museminali, un jeune Frère Joséphite, que j'ai fais venir ensuite en France, fin 1994. J'ai évidemment essayé de suivre ces événements à travers tous les moyens d'information dont je pouvais disposer, y compris grâce à mes relations scientifiques et j'ai pris ainsi connaissance, je dirais même plutôt " conscience ", et ce n'était pas facile, du rôle de l'État français. J'avais accès à des informations de diverses sources, parfaitement recoupées. Parallèlement, dans les médias, la vérité a été parfaitement occultée. Le pouvoir génocidaire niait son entreprise alors en cours en même temps que le pouvoir français faisait tout pour le dissimuler. Pour le fonctionnaire que je suis, une telle situation était extrêmement déstabilisante. C'était tellement énorme, tellement grave que je ne savais plus très bien s'il fallait que la vérité soit dite ou s'il était préférable de pleurer en silence, se conformant au consensus du black-out officiel. Finalement, c'est peut-être ce désire de vérité qui collait à ma vocation de chercheur et de scientifique, et sans doute aussi une prise de conscience d'un devoir de citoyen en accord avec mon idéal républicain, qui l'a finalement emporté. Je voyais l'Afrique à l'époque à travers mes lunettes fumées de coopérants. Ce n'est qu'ensuite qu'un travail de réflexion sur le rôle de la France en Afrique, plus exactement de la Françafrique, a été fait et a consolidé cette démarche. En 1994, la seule ONG qui parlait sans peur et avec clarté de ce crime, de cette complicité de génocide au Rwanda, était l'association Survie. Je l'ai naturellement rejoint et je continue aujourd'hui de militer avec elle.

Quelles étaient exactement tes relations avec le Rwanda ?

Mon premier pays d'affectation était le Zaïre. En 1972, j'étais à Bukavu, au bord du lac Kivu, en face du Rwanda. C'est là que j'ai connu une rwandaise que j'épousais dix ans plus tard. J'avais donc en 1994 une belle-famille dans ce pays, dans la région de Kibuye. Elle a été en quasi-totalité exterminée pendant le génocide. En comptant les enfants, les époux et épouses des frères et sœurs de ma femme, cela représente 27 personnes assassinées. Des paysans pauvres qui n'avaient que le tors d'être fichés tutsi. Il n'y a eu qu'un seul rescapé, mon beau-frère Basile Museminali, jeune séminariste qui avait 25 ans au moment des tueries. Il a pu se cacher pendant trois mois à Butare, dans son monastère. Je l'ai fait venir en France où il a obtenu un statut de réfugié politique. Immédiatement après le génocide, en août 1994, il était retourné sur les lieux, à Kibuye. Il a pu me dire l'indicible. Ce qui s'est passé. Comment sont morts ses parents, sa sœur Dative. Le supplice de sa mère. Comment conduit à l'abattoir avec les autres Frères tutsi, il a échappé par miracle. Je sais qu'il n'a pu le dire à aucune de ses deux sœurs qui étaient en France. Il est mort en 1999 d'un accident à Lyon, écrasé par une voiture. J'ai perdu un véritable ami, une personne en qui j'avais la plus haute estime. Il est parti, me laissant seul avec ce secret, dont l'horreur reste à jamais inscrite dans ma mémoire.

Tu ne veux pas répondre par téléphone. Pourquoi ?

Je crois en la force de l'écrit. C'est pourquoi j'en suis à mon troisième livre sur ce drame. Je me refuse en revanche, par principe, de me considérer comme spécialiste, je préfère me considérer comme témoin. Je renonce systématiquement à toute interview orale parce qu'il s'agit de la réalité d'un génocide, pas d'un roman. On ne peut en discuter sans une extrême prudence et sans utiliser une documentation précise et datée. La réalité, les faits seuls ont de l'importance. Il n'est pas possible de le faire devant un micro. Je pense aussi que le comble de l'impudeur serait de se servir d'un tel drame pour se mettre en valeur aux dépends du drame lui-même. Les médias sont de toutes façons contrôlés et manipulés, même si c'est parfois à l'insu des journalistes. Et puis j'ai aussi l'exemple d'un spécialiste à la langue prolixe dont des propos irréfléchis, tenus dans l'élan d'un entretien, ont été publiés dans un grand hebdomadaire…

D'autre part, j'ai mon travail de recherche sur la maladie du sommeil qui me prend à plein temps. Seul l'écrit laisse le temps de la réflexion et permet d'éviter ce genre de dérapage verbal pour lesquels je ne suis pas plus à l'abri qu'un autre. La seconde raison est qu'il s'agit de l'actualité, d'un domaine toujours brûlant. Les complices directs ou indirects du génocide sont toujours au pouvoir en France où la raison d'État (le secret d'État) continue à s'imposer sur ce drame. Il existe aussi une immense diaspora rwandaise intimement mêlée à ce génocide et répandue à travers le monde, des gens souvent instruits, des professeurs, des avocats, des médecins qui continuent leur travail de négationnistes et de révisionnistes. Cette situation demande de la prudence et le temps de réflexion que permet l'écrit.


Réparer les conséquences de la complicité de génocide de la France au Rwanda


Bibliographie de l'auteur:

Les livres:

En danger de croire. La foi: Une histoire culturelle du mal, L'Harmattan, 1998.

Un génocide secret d'État. La France au Rwanda 1990 - 1997, Édition Sociales, 1998.

Le Monde, un contre pouvoir? Désinformation et manipulation sur le génocide rwandais, L'Esprit Frappeur, 1999.

Un génocide sans importance. La Françafrique au Rwanda, Tahin Party, 2001.

Bibliographie complète (livres et articles)

http://nuit.rwandaise.free.fr