Les "fautes" du Monde selon J-P. Gouteux

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JournAlpes
mardi 25 mai 2004
par Prisca Djengue

Le Monde est un journal de référence. La plupart des informations qui figurent dans ce quotidien sont ensuite reprises par l'ensemble des médias. Il a donc un rôle phare dans la formation de l'opinion publique. A ce titre, Jean-Paul Gouteux a étudié la façon avec laquelle le journal a couvert le génocide. Dans « Le Monde, un contre pouvoir. Désinformation et manipulation sur le génocide rwandais » publié en 1999, il dénonce le traitement journalistique du quotidien. Alors que la question de la responsabilité de la France dans l'élaboration et la réalisation du génocide est réellement posée, Jean-Paul Gouteux rappelle « Un génocide ne peut s'accomplir sans le concours des médias. »

Auteur d'Un génocide secret d'état [1] et Le Monde, un contre pouvoir ?  [2] Jean-Paul Gouteux reproche principalement au quotidien :

- d'avoir minimisé l'importance des massacres en les faisant passer pour « un simple conflit ethnique » : « En dissimulant la réalité du génocide, la presse français a probablement favorisé ces trois mois de tueries ininterrompues. Le Monde et les médias qui ont asséné systématiquement une explication ethnique pour tous les événements politiques en Afrique, en l'occurrence l'antagonisme Hutu-Tutsi au Rwanda, ont préparé le terrain. L'occultation ensuite de la réalité du drame en cours, en particulier la dissimulation du caractère ethnique et méthodique des massacres, ne pouvait que conforter ces extrémistes hutus dans le bien-fondé de leur entreprise ».

- d'avoir participé à la confusion entre bourreaux et victimes. L'auteur souligne notamment un éditorial de Jean-Marie Colombani(le 23 juillet 1994). Celui-ci écrivait « Le FPR fait le vide autour de lui, est responsable de l'exode et surtout ne veut rentrer que les paysans, sous prétexte de récoltes, ce qui lui permet d'exclure les intellectuels hutus » et concluait que si cela était confirmé « cela rappellerait quelque chose du côté de Cambodge ». Colette Braeckman, journaliste belge au Soir avait répondu à cet éditorial le 25 juillet 1994, par un « courageux article »précise Gouteux intitulé « Désinformation et manipulation ». Jean-Paul Gouteux reprendra d'ailleurs ce titre

- d'utiliser les services de renseignements comme source privilégiée d'information. « Les 200 articles où il [Jacques Isnard] fait explicitement référence au sigle DGSE montrent qu'il dispose d'informations de toute première main. Dans un article intitulé « Le spleen des agents secrets français »(Le Monde du 2 juin 1995), Jacques Isnard se fait même le porte-parole des revendications corporatistes de nos hommes de l'ombre ». Ainsi l'auteur qualifie Jacques Isnard (responsable de la rubrique Armée/défense du quotidien et Jean-Marie Colombani (rédacteur en chef) " d'honorables correspondants" de la DGSE. « "Honorable correspondant" est le terme consacré par les "Services" pour les journalistes avec lesquels ils entretiennent une amicale (et fructueuse) collaboration. » Pour se justifier, Jean-Paul Gouteux cite les confessions de Claude Silberzahn, ancien directeur de la DGSE qui évoque son amitié avec Jacques Isnard et Jean-Marie Colombani dans son livre Au cœur du secret [3] : 1500 jours aux commande de la DGSE, 1989-1993.

- de s'être fait , comme l'analyse plus précisément encore l'association ACRIMED (Action Critique medias) le « porte parole de la politiqueafricaine de l'Elysée ». Jean-Paul Gouteux rejoint aussi les commentaires de l'Association Survie ou encore presselibre.org. Gouteux cite par exemple le quotidien quand il présentait l'opération Turquoise comme une opération humanitaire dans laquelle les Tutsis pouvaient être des dangers pour les forces française « un Tutsi peut s'avérer un combattant en puissance » (Le Monde du 29 juin 1994)

 

Pour l'auteur, en choisissant de négliger les informations provenant d'autres sources et qui pourraient contredire celles transmises par les services de renseignement, Le Monde aurait adopté une ligne éditoriale partiale. Une ligne qui s'illustrerait par exemple dans une caricature (reproduite sur le site web de presselibre) de Plantu, parue dans Le Monde des 21-22 août 1994. Le dessin « qui a donné la nausée à l'africaniste Jean-Pierre Chrétien », précise Gouteux, illustre le départ des militaires français de l'opération Turquoise rentrant en France. L'un d'eux se retourne et dit à un militaire du FPR (Le Front Populaire Patriotique qui avait repris le pouvoir à Kigali) : « Et on est bien d'accord : plus de génocide ! ! ! ».

  L'auteur constate « Trois mois de désinformation par l'équipe du Monde sont dans ce dessin, qui résume ce que pouvait comprendre un lecteur du Monde ».

Pour Jean-Paul Gouteux, information et désinformations se cotoient sans distinction dans les colonnes du Monde « le camouflage du génocide »du Monde n'est pas lié au manque d'information :« Face à ce qu'ont écrit d'autres journaux comme Le Soir de Bruxelles, L'Humanité, La Croix, Le Figaro, etc.., l'acte délibéré est évident. » Finalement, à la question Le Monde, un contre pouvoir ? Jean-Paul Gouteux répond par la négative, sans aucune hésitation : « Il est indiscutable (...) que Le Monde a tout fait pour que les citoyens français n'aient aucune chance de comprendre que leur État était engagé en Afrique dans une entreprise politique et militaire dont l'objectif est le résultat du troisième génocide de l'histoire. »

La justice aussi a tranché à sa manière en déboutant Le Monde de ses plaintes en diffamation contre Gouteux.


[1] Texte de la quatrième de couverture de "un génocide secret d'état" :
Le drame commence par l'avènement d'une république ethnique, après une "révolution" exécutée sous le commandement d'un colonel de l'armée coloniale, avec l'appui des troupes coloniales et la bénédiction d'une Église toute-puissante. Il culmine dans sa conséquence ultime : le génocide. Que vient faire la France dans cette galère ? Son implication résulte du choix fait par l'Élysée de soutenir au Rwanda le camp du génocide. Avant 1994, nous ne savions pas. C'était un choix fait à notre insu, dans le secret qui entoure la politique africaine de la France, un choix qui ne relevait que de la présidence de la République et de ses cellules africaines. Nous ne savions pas, mais "eux" savaient. Il est temps de porter un regard citoyen sur ce que nos dirigeants font en notre nom. Ne nous laissons pas confisquer la République ! L'occultation de cet épisode, le refus de voir, le silence gêné, c'est l'acceptation du pire. L'Afrique est aujourd'hui la banlieue de l'Europe. Le génocide pourrait être demain, dans les ghettos urbains des mégalopoles occidentales, l'horreur absolue qu'il a été au Rwanda en 1994. Jean-Paul Gouteux, docteur ès Sciences, est chercheur en entomologie médicale. Il a été coopérant au Kivu dans l'ex-Zaïre et a ensuite résidé et travaillé dans plusieurs pays d'Afrique. En France, depuis 1994, il participe aux initiatives citoyennes pour faire la vérité sur le drame rwandais et milite contre la banalisation des génocides.
Éditions sociales, Paris, 1998 ISBN 2-911833-12-0 Éditions Sociales : 25, rue d'Alsace, 75010 PARIS

[2] Texte de la quatrième de couverture de "le Monde, un contre-pouvoir ?" :
Voici un petit livre terrible. Que nous dit-il ? "Le Monde", honorable quotidien du soir, réputé pour son sérieux, son objectivité, sa bonne tenue, en un mot, sa qualité, aurait contribué à nous désinformer sur le génocide rwandais ! Ce nouvel ouvrage de Jean-Paul Gouteux, spécialiste rigoureux de la question rwandaise, constitue une analyse en profondeur sur la façon dont "Le Monde" a conduit ce travail de désinformation. Ce travail aux limites troubles de la déontologie a fait que les citoyens n'ont rien pu comprendre à la politique démente entreprise par François Mitterrand, ses officines, telle celle de Paul Barril, ses services secrets et son état-major militaire. Assignés pour diffamation pour l'avoir dénoncé dans "Un Génocide secret d'État", Jean-Pierre Gouteux et les Éditions Sociales ont été relaxés. C'est "Le Monde" qui a été condamné aux dépens. Et a fait appel. Pourtant, le rôle de ce journal dans cette affaire s'apparente à de la complicité de génocide.
Éditions l'Esprit frappeur, Paris, 1999 ISBN : 2-84405-087-5 L'Esprit frappeur, 7-9, passage Dagorno, 75020 PARIS

[3] Claude Silberzahn, Au cœur du secret : 1500 jours aux commande de la DGSE, 1989-1993 (Extrait page 100)
« La télévision a un impact considérable, démesuré par rapport à la presse écrite. Mais au travers de cette dernière, en raison des délais qu'elle offre, de la relative lenteur de ses processus de fabrication et surtout du suivi régulier de ses informations, la communication peut être maîtrisée. Deux interviews dans "Le Monde", les 30 janvier 1990 et 31 mars 1993, m'ont cependant révélé la limite haute de ce qu'il était possible de faire : le moment de leur parution a été longuement "comploté" avec les amis que je compte de longue date dans ce journal - notamment Jacques Isnard qui les a recueillies et Jean-Marie Colombani qui les a accueillies. Le choix du "Monde" était dicté par ma volonté d'atteindre les capitales étrangères, les milieux décisionnels parisiens et le Service lui-même. Je n'avais informé personne de ma première interview, ni demandé la moindre autorisation. Michel Rocard [alors premier ministre de François Mitterrand, ndlr] me l'a reproché, mais il a admis qu'il aurait dit "non" si j'avais sollicité son avis... »

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